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culte apollinien et dionysien de la nature

jusqu’à ce que la folie ait proclame : — « Tout passe, c’est pourquoi tout mérite de passer.
    « Ceci est la justice même, qu’il faille que le temps dévore ses enfants » ; ainsi a proclamé la folie.
    « Les choses sont ordonnées moralement d’après ce droit et le châtiment. Hélas ! où est la délivrance du fleuve des choses et de l’existence, ce châtiment ? » Ainsi a proclamé la folie.
    « Peut-il y avoir rédemption s’il y a un droit éternel ? Hélas ! on ne peut soulever la pierre du passé : il faut aussi que les châtiments soient éternels ! » Ainsi a proclamé la folie.
    Nul ne peut être détruit ; comment pourrait-il être supprimé par le châtiment ? Ceci, oui, ceci est ce qu’il y a d’éternel dans l’existence, ce châtiment, que l’existence doive redevenir éternellement action et châtiment.
    « À moins que la volonté ne finisse par se délivrer elle-même, et que le vouloir devienne non-vouloir » — Cependant, mes frères, vous connaissez ces chansons de la folie.


Nietzsche fait allusion à la folie hindoue, reprise par Schopenhauer : la vie et son renouvellement par la transmigration, conçue comme châtiment des fautes, antérieures, la perpétuité des renaissances tant que le vouloir-vivre subsiste, le salut obtenu seulement par a négation du vouloir-vivre, par la volonté s’anéantissant elle-même dans le non-vouloir, dans le nirvâna.

Nietzsche repousse avec horreur ce pessimisme ; il veut que la volonté veuille toujours et se veuille toujours elle-même ; il s’attache désespérément, si on peut le dire, à un optimisme affirmé en dépit de tout ce qui le contredit dans l’univers. Quel sera donc sa rédemption, à lui, son moyen de salut, son joyeux message à l’humanité ?

    Je vous ai conduit loin de ces chansons lorsque je vous ai enseigné : « La volonté est créatrice. »


L’adage est beau et l’attitude est belle ; mais en quoi et comment la volonté peut-elle être créatrice ?

À l’égard du passé, nous avons vu qu’il y a là un sépulcre dont la volonté ne peut soulever la pierre : elle ne peut faire que ce qui fut n’ait pas été !