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conclusion

sent et ne peut se mesurer ; en outre, elle se sent pour tel ou tel fait psychologique, non pour la vie entière. L’intensité de la vie est-elle donc une question de qualité et de valeur ? Quelle mesure encore appliquerons-nous ? L’intensité des sensations, par exemple, a-t-elle la même valeur que celle des pensées ? Celle des pensées, à son tour, vaut-elle celle de la volonté ? Sans doute, dans le fond des choses, il est bien probable que la vie la plus vraiment morale est aussi, en somme, la plus vraiment intense, la plus forte, la plus vécue ; mais, à ne considérer que les faits visibles et appréciables, si la plus grande intensité entraîne généralement la plus grande expansion de vie, elle n’entraîne pas toujours son expansion généreuse en vue d’autrui. La morale de la vie, chez Nietzsche, est une morale d’intensité et même d’expansion vitale comme chez Guyau, mais nous l’avons vue aboutir à des conséquences opposées[1]. Quoique ces conséquences soient insuffisamment justifiées, elles n’en prouvent pas moins l’incertitude et le caractère ambigu du critérium d’intensité, quand on veut l’appliquer in concreto.

Miss Simcox, elle aussi, dans une théorie analogue à celle de Guyau, a voulu réduire le bien naturel à « la plus grande abondance possible et à la plus grande variété possible de puissance vitale ». En d’autres termes, c’est « la possession de facultés abondantes, actives et passives, pleinement développées, et dont l’exercice est réglé et égal ». — Mais d’abord, en quoi consiste cette règle des facultés, qui suppose la subordination des inférieures aux supérieures ? Puis, comment reconnaître les facultés supérieures ? — On répond : « Il faut, parmi toutes les possibilités, préférer la combinaison qui harmonise le plus grand nombre des tendances les plus fortes. » — Il s’agit donc toujours de savoir quelles sont les tendances les plus fortes. — Ce sont, dit-on, celles qui résultent, par hérédité, des modes de

  1. Voir plus haut, livre III