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nietzsche et l’immoralisme

avec le chef des Assassins : « Rien n’est vrai » ; d’où résultera, par une conséquence nécessaire : tout est permis.

Ceux qui attaquent Dieu et l’Église au nom de la vérité, de la morale et de la justice, avait déjà dit Stirner, en appellent à une autorité qui est extérieure à la volonté égoïste de l’individu, et cette autorité, en dernière analyse, est la volonté d’un Dieu : « Nos athées sont de pieuses gens » Nietzsche répète la même chose et montre que les athées qui croient au vrai et au bien croient en Dieu.

Les pages qu’on vient de lire sont parmi les plus profondes de Nietzsche, car il a bien vu que la vérité, la science et la moralité se tiennent comme par la main, que toutes trois sont une affirmation d’un monde autre que celui de nos sens et même de notre pensée. À cet autre monde, Nietzsche déclare une guerre sans trêve et sans merci. C’est qu’il se le représente comme opposé à la réalité, comme ennemi de la réalité même, comme je ne sais quel abîme insondable où on veut nous faire adorer la divinité. Spencer lui-même ne nous invite-t-il pas à nous agenouiller devant le grand point d’interrogation ? C’est à cette conception que Nietzsche oppose le phénoménisme absolu de l’école ionienne.

— Mais, demanderons-nous, la vérité que recherche la science est-elle donc aussi mystique et aussi ascétique que Nietzsche se plaît à l’imaginer ? Selon nous, le monde vrai n’est pas distinct du monde réel ; il est le monde réel lui-même, le monde tel qu’il est, tel qu’il se fait, tel qu’il devient et deviendra. Toute la question est de savoir si nos sens incomplets et inexacts nous révèlent, ne disons plus la vérité, mais la « réalité », si même nos facultés intellectuelles sont adéquates, ne disons plus à la vérité, mais à la réalité. À ce problème, philosophes et savants ont-ils donc tort de répondre : Non ? Avant la découverte de l’électricité, nos sens ne pouvaient nous faire séparer cette force des autres forces de la nature ; avant la découverte des rayons X, nos yeux ne pouvaient