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le vrai comme volonté de puissance

Mais est-ce que Nietzsche, lui aussi, ne veut pas faire « dévier notre être » vers un but, et vers un but surhumain ? « Il n’y a rien, dit-il encore, qui pourrait juger, mesurer, comparer notre existence, car ce serait là juger, mesurer, comparer et condamner le tout… Mais il n’y a rien en dehors du tout. » — Pourquoi donc va-t-il juger lui-même que les « maîtres » sont supérieurs aux « esclaves », les nobles et les forts aux vilains et aux faibles, le surhomme à l’homme ? Pourquoi les compare-t-il ? — « Faites comme le vent quand il s’élance des cavernes de la montagne ; élevez vos cœurs, haut, plus haut Ainsi parla Zarathoustra. » — À quelle mesure Zarathoustra reconnaîtra-t-il ce qui est plus haut ? L’antinomie éclate dans le système de Nietzsche. Entre son fatalisme et sa morale ou surmorale, — que nous apprécierons plus loin, — il y a entière contradiction.

Non moins grande est la contradiction entre le mépris de la pensée que professe Nietzsche et l’admiration de la pensée dont il fait également preuve. Il a beau se moquer du matérialisme, toutes les vieilleries et banalités du gros matérialisme à la mode il y a cinquante ans se retrouvent chez lui, présentées comme idées neuves : « Nous ne faisons plus descendre l’homme de l’esprit, de la divinité, dit-il, nous l’avons replacé parmi les animaux. Il est pour nous l’animal le plus fort parce qu’il est le plus rusé : notre spiritualité en est une suite. » L’intelligence n’est qu’une forme de la ruse, qui est elle-même une forme de la force. « Nous nous défendons, d’autre part, contre une vanité qui, là aussi, voudrait être la voie : comme si l’homme avait été la grande pensée de derrière la tête de l’évolution animale ! » Évolution n’est pas finalité, développement n’est pas recherche intentionnelle de la perfection. « L’homme n’est absolument pas le couronnement de la création ; chaque être se trouve à côté de lui au même degré de perfection[1]. »

  1. L’Antéchrist, § 14.