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nietzsche et l’immoralisme

Ici Nietzsche « dévie » et ne comprend plus même la doctrine évolutionniste. Pour celle-ci, une huître ne vaut pas un homme : l’huître a une organisation moins diversifiée et moins unifiée ; elle sent moins, elle agit moins, elle pense moins que l’homme ; aussi Darwin et Spencer, tout en la trouvant peut-être parfaite en son genre et à sa place, trouveront l’huître moins parfaite que Newton ou Laplace. Si tous les types se valent, pourquoi Nietzsche adore-t-il un type d’homme supérieur, à savoir le plus fort, le plus rusé, le plus au-dessus de tout scrupule ? Après l’inconséquence, voici le paradoxe : « En prétendant cela (que l’homme n’est pas plus parfait qu’un autre animal), nous allons encore trop loin : l’homme est relativement le plus manqué de tous les animaux, le plus maladif, celui qui s’est égaré le plus dangereusement loin de ses instincts ; — il est vrai qu’avec tout cela il est aussi l’animal le plus intéressant. » En ce qui concerne les animaux, et par conséquent l’homme, « c’est Descartes qui, le premier, a eu l’admirable hardiesse de considérer l’animal en tant que machine ». Et Nietzsche ajoute des moqueries peu originales sur le libre arbitre, sur la volonté, qui « n’agit pas ». Il a lu Maudsley et M. Ribot. Il va même, comme Maudsley, jusqu’à considérer la conscience comme une imperfection de mécanisme. « L’esprit, la conscience, nous semblent précisément être les symptômes d’une relative imperfection de l’organisme, une expérience, un tâtonnement, une méprise, une peine qui use inutilement beaucoup de force nerveuse ; — nous nions qu’une chose puisse être faite dans la perfection, tant qu’elle est faite consciemment. » On reconnaît la bonne vieille théorie de la conscience épiphénomène, de la conscience indice d’imperfection mécanique, n’ayant d’autre but que de s’éliminer elle-même en faveur de l’automatisme [1].

Comment la conscience, épiphénomène inutile, n’est-elle cependant explicable qu’en vertu de son utilité et

  1. Voir sur ce point notre Évolutionnisme des idées-forces.