Nul ne garde si bien en soi [115]
Ce bonheur comme moi en moi :
Tant que soit que le vent s'émeuve,
Ou bien qu'il grêle, ou bien qu'il pleuve,
Ou que le Ciel de son tonnerre
Fasse peur à la pauvre Terre, [120]
Toujours Monsieur moi je serai,
Et tous mes ennuis chasserai.
Car serais-je point malheureux
D'être à mon souhait plantureux,
Et me tourmenter en mon bien ? [125]
Je ne vouerai jamais à rien,
Sinon au plaisir, mon étude.
Ce serait une ingratitude
Envers la fortune autrement,
Qui vous pourvoit tant richement : [130]
Car qui est mal content de soi
Il faut qu'il soit, comme je crois,
Mal content de fortune ensemble.
Fortune assez d'heur me rassemble
Pour me plaire en ce monde ici, [135]
Esclavant en tout mon souci :
Sans travail les biens à foison
Sont apportés en ma maison,
Biens, je dis, que jamais n'acquirent
Les parents qui naître me firent, [140]
Et qui ainsi donnés me sont
Qu'à mes héritiers ne revont,
Ains pour rendre ma seule vie
En ses délices assouvie,
Ce que nous pratiquons assez, [145]
Tant qu'il semble que ramassés
Tous les plaisirs se soient pour moi.
Les Rois sont sujets à l'émoi
Pour le gouvernement des terres :
Les Nobles sont sujets aux guerres : [150]
Quant à Justice en son endroit,
Chacun est serf de faire droit.
Le marchant est serf du danger
Qu'on trouve au pays étranger :
Le laboureur avecque peine [155]
Presse ses boeufs parmi la plaine :
L'artisan sans fin molesté,