Page:Fournier - Le Théâtre français au XVIe et au XVIIe siècle, t. 2, Garnier.djvu/377

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qui veulent faire croire qu'ils ont l'esprit sensible et délicat, et qu'ils savent aimer tout ce qui est beau, s'imaginer comme celui-ci, qu'ils sont amoureux, sans savoir bien souvent de qui ; et sur le récit que l'on leur fait de quelque beauté, courir les rues, et se persuader qu'ils sont extrêmement passionnés, sans avoir vu ce qu'ils aiment.

Le quatrième est un Riche imaginaire, dont il se trouve assez par le monde ; et de qui la folie ne paraît qu'au cinquième Acte : car dans les autres il parle sérieusement de ses richesses, comme il paraît dans la description de sa belle maison, où il ne se trouve rien d'extravagant, et qui ne soit imaginé selon la vraisemblance, étant une chose ordinaire que chacun est sérieux dans sa folie.

L'Amante d'Alexandre n'est pas une chose sans exemple ; et il y a beaucoup de filles, qui par la lecture des Histoires et des Romans, se sont éprises de certains Héros, dont elles rebattaient les oreilles à tout le monde : et pour l'amour desquels elles méprisaient tous les vivants.

Est-il rien de plus ordinaire que de voir des filles de l'humeur de la seconde, qui se croit être aimée de tous ceux qui la regardent, ou qui entendent parler d'elle, bien que peut-être elles ne disent pas si naïvement leurs sentiments.

Pour la troisième soeur, il s'en trouve beaucoup, comme elle, amoureuses de la Comédie, à présent qu'elle est si fort en règne, particulièrement de celles qui se mêlent d'en juger, d'en savoir les règles, d'inventer des sujets selon la portée de leurs esprits, tels que celui que récite celle-ci, dans lequel il y a plus de matière qu'il n'en faudrait pour vingt Comédies, encore ne sait-on que le troisième Acte, et si la pièce a duré déjà pour le moins trente ans : toutefois on peut voir les véritables règles, dans l'opinion des Critiques qu'elle allègue au Poète pour en avoir son avis, qui sont celles que l'on doit suivre, encore que ces deux extravagantes personnes n'en demeurent pas d'accord.

Le père de ces trois filles n'est guère plus sage qu'elles. Il est d'une humeur si facile, que tout homme qui se présente pour avoir en mariage l'une de ces filles, lui semble toujours être son fait : qu'un autre vienne après, il trouve encore que c'est ce qu'il lui faut ; Et pour en accepter trop, il s'embarrasse tellement qu'il ne sait ce qu'il doit faire à la fin de la pièce, dont le démêlement se fait par un de ses parents, qui est le seul qui soit raisonnable entre tous ces personnages.

Toutes ces folies, bien que différentes, ne sont ensemble qu'un sujet, et pour les bien représenter toutes, on ne pouvait pas leur donner une liaison aussi grande que celle qui se peut donner aux Comédies, où n'agissent que deux ou trois personnages ; et l'intrigue de celle-ci n'est que l'embarrassement du bon homme qui lui est causé par tous les gendres qu'il a acceptés : le reste n'est soutenu que des extravagances de ces Visionnaires qui se mêlent encore ensemble en quelque sorte, pour faire mieux paraître ces folies les unes pour les autres.

Quelques-uns ont voulu reprendre cette Comédie, de ce qu'elle n'était pas propre pour toutes sortes de gens, et que ceux qui n'ont aucun savoir, n'en pouvaient entendre beaucoup de mots. Mais depuis quand les ignorants sont-ils devenus si considérables en France, que l'on doive tant s'intéresser pour eux, et que l'on soit obligé d'avoir soin de leur plaire ? Penser que l'on doit bien du respect, ou à la bassesse