Scène IV
Hé bien, belle Hespérie, Alcidon ce bon père
Vous marie aujourd'hui : c'est de vous qu'il espère
Un coeur obéissant : Vous auriez à choisir.
Hélas ! Je le sais bien c'est tout mon déplaisir : [1800]
De vrai je puis choisir entre près de cent mille :
Mais funeste richesse ! Abondance inutile !
Si j'en vais choisir un, quel barbare dessein ?
Je mets à tout le reste un poignard dans le sein.
Vous croyez un peu trop que chacun vous adore. [1805]
Ah ! Quel aveuglement ? En doutez-vous encore ?
Voulez-vous publier que je vais faire un choix,
Pour voir combien d'Amants vivent dessous mes lois ?
Ah ! Mon père, l'épreuve en serait trop cruelle.
Voudriez-vous à ce point me rendre criminelle ? [1810]
Soudain que l'on verrait l'heureux choix de mes yeux,
Ce glorieux Amant, ce favori des cieux,
Les autres hors d'espoir, tristes et misérables
Feraient tout retentir de cris épouvantables :
Les uns se noieraient aux plus prochaines eaux ; [1815]
D'autres iraient chercher le secours des corbeaux :
Les uns se lanceraient du haut des précipices :
Je verrais devant moi les sanglants sacrifices
Des autres dont la main finirait le malheur :
Et le reste mourrait de sa propre douleur. [1820]
Mon âme ferait bien en cruauté féconde,
D'exterminer pour un, tout le reste du monde.
Bons Dieux ! Quelle folie ?
Ah ! Pour l'heur d'un amant,
Voudriez-vous que le reste entrât au monument ?
Non, je n'en ferai rien, je n'ai pas ce courage : [1825]
Je me veux pour jamais privé du mariage.