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LE GOUVERNEUR

pâtée de l’Italien : du moins M. Routhier me fut-il épargné… Je retrouvai Molière, Racine, La Bruyère, Taine, Louis Veuillot. Dieux, quelles bombances je fis ces jours-là ! Si dès lors la famine compliquée d’amers ne m’eût jeté dans un épuisement complet, je crois que j’aurais lu du matin jusqu’à la nuit. Enfermé toujours vers les cinq heures de l’après-midi, je passais du moins dans les livres les deux ou trois heures qui à ce moment-là nous séparaient encore de l’obscurité ; et tant qu’une dernière lueur filtrait par les barreaux, vous m’eussiez trouvé là les yeux fixés sur quelque passage de Phèdre ou des Odeurs de Paris — … en attendant celles de la cellule voisine.

Au début, le gouverneur se défiait. Il regardait d’un œil hostile tous ces inconnus, dont il n’avait jamais entendu parler dans son comté, non plus qu’au parlement de Québec ; aussi n’arrivaient-ils que lentement, et un par un, dans le 17. À la longue, cependant, la tutelle de M. M*** à cet égard se fit moins difficile. Le shérif, sur les derniers jours de mon internat, ayant permis qu’on m’envoyât les journaux, le gouverneur venait lui-même me les apporter — la plupart du temps en retard d’une journée, mais n’importe… Du Nationaliste, on m’adressait chaque jour les journaux français. Ceux-ci attendaient encore plus longtemps que les autres :