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LA FAILLITE (?) DU NATIONALISME

sion du gouvernement canadien, avant de déterminer l’attitude du Devoir et la ligne de conduite qu’il devait suivre. Une approbation formelle ou même tacite ne cadrait guère, en stricte logique, avec l’attitude passée du journal et ma constante opposition à toute participation du Canada aux guerres de l’Angleterre en dehors du territoire canadien. D’autre part, me disais-je, la participation est décidée avec le concours unanime du parlement.[1] Il ne s’agit plus, comme en 1899, d’empêcher le gouvernement de créer, par un acte arbitraire et sans le concours des Chambres, un précédent dangereux. Et puis, les circonstances sont différentes. La France et l’Angleterre, auxquelles tant de liens nous rattachent, sont entraînées contre leur gré — tout l’indiquait alors — dans une lutte gigantesque. Ne serait-il pas possible, en réservant toutes les solutions politiques et constitutionnelles, d’acquiescer à une intervention nationale, inspirée par le seul souci des intérêts canadiens, et d’empêcher par là que cette grave démarche ne fortifie davantage l’entreprise de l’impérialisme ?

Après mûre réflexion, j’inclinai vers l’affirmative. Je publiai un article dans ce sens, le 8 septembre 1914. Cet article valut au Devoir et à son directeur une bordée d’injures et de dénonciations virulentes non seulement de la presse impérialiste et jingoe, mais de la plupart des organes des deux partis.

Pour une fois que j’avais voulu essayer de la conciliation — ce n’était pas la première, quoi qu’on dise — je n’eus pas lieu de me féliciter du résultat. En toute justice pour le plus intime et le plus ancien de mes collaborateurs, je dois dire que M. Omer Héroux m’avait mis sur mes gardes. « On ne vous tiendra nul compte, me disait-il, de cette tentative de conciliation. Et l’on tournera plus tard contre nos idées et au profit de l’impérialisme cet acquiescement partiel à l’acte accompli. » Je fus bientôt forcé de reconnaître qu’il avait entièrement raison.

M. Bourassa nous avait promis « un aveu complet et sincère ». Comme vous voyez, il a tenu parole. Très humblement il confesse que quelqu’un a pu, pour une fois, avoir un jour raison contre lui.

  1. Et donc de M. Paul-Émile Lamarche lui-même (Honni soit qui mal y pense).