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lousement gardé par Mérance et France qui en conservent, comme vous le voyez, les antiques traditions. Il semblerait même que le malheur est promis à ceux qui renient la terre, pour se prostituer à l’amour de la boisson par exemple, comme ce pauvre Cyprien.

— Mais Cyprien n’a jamais eu de terre que je sache !

— Écoutez son histoire ou plutôt celle de son père. Il y a bien, mon Dieu, oui, bientôt 20 ans, je reçus, sur cette même galerie, une lettre de ce pauvre Brouillette, mon ancien condisciple du Grand Séminaire, qui était curé dans une petite paroisse du comté de l’Islet.

Une brave femme, sa paroissienne, venait de perdre son mari dans des circonstances aussi douloureuses pour elle que peu honorables pour lui. Cet homme faisait la contrebande des boissons qui lui arrivaient par les goëlettes, et qu’il pouvait cacher dans des caves creusées dans la falaise. Pour donner un prétexte aux allées et venues que nécessitait l’écoulement de sa marchandise, il faisait le commerce de foin ; chaque charge abritait un baril du précieux liquide. Inutile de dire qu’il buvait consciencieusement.

Un jour, pendant son absence de la paroisse, guidés par des traces sur la neige, des douaniers découvrirent la fameuse cachette. Ils se rendirent aussitôt chez Lachance pour l’arrêter. Ils l’attendaient depuis deux heures, lorsqu’ils l’aperçurent venir de loin, couché sur son voyage de foin. Il faisait un froid à fendre pierre. Le cheval habitué à faire le trajet, tourna de lui-même au chemin de traverse, et se dirigea vers