Page:Fraigneau - Rouen Bizarre.djvu/118

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comme les vieux murs et tombent pierre par pierre à chaque révolution, la cour d’assises est restée intacte, sans rien perdre de sa grandeur d’autrefois ; elle en impose comme avant et, devant ces magistrats en robe flamboyante ; devant ce défenseur, qui semble porter d’avance le deuil de ceux qu’il sera impuissant à sauver malgré son éloquence ; devant ces douze braves citoyens, qui joueront peut-être ce soir aux dominos autour de la table de famille, mais remplissent en ce moment le grand rôle de justiciers, on s’incline malgré soi, comme lorsqu’on entre dans une église ; on se sent ému comme quand on assiste à une belle cérémonie religieuse.

La cour d’assises a son public, tout comme la correctionnelle a le sien, et ces deux publics ne se ressemblent pas plus que celui qui fréquente l’Ambigu, à Paris, ne ressemble à celui qui paye très-cher ses places aux Variétés. On est tout l’un ou tout l’autre ; on aime le masque tragique, cet horrible masque dont la bouche est déchirée par un rictus de douleur, dont les yeux ressemblent à des boules, ou bien on aime la bonne face joyeuse, comique, de cet autre masque qui, à travers ses mâchoires édentées, a toujours l’air de dire quelque chose de drôle et dont les yeux en coulisses semblent pleurer éternellement de joie