Page:Fraigneau - Rouen Bizarre.djvu/46

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che, v’lan ! « ça y est ! » s’écrie Grand-Louis, et il nous prie, après s’être redressé, de cueillir nous-même l’aiguille qu’il a saisie par le coin de l’œil droit.

Le patron nous regarde d’un air de triomphe :

— « Vous le voyez, on n’est pas de Marseille, ici. »

Les autres consommateurs sont indifférens ; ils ont vu la scène se répéter si souvent !

La représentation n’est pas finie ; alléché par la promesse d’une consommation, le baryton de l’endroit veut bien se faire entendre.

C’est un jeune homme trapu, noir comme ses autres compagnons, et cependant il n’a pas leur allure ni leur langage ; il boit beaucoup et ne se montre pas aussi familier avec les camarades ; un certain mystère plane autour de lui et il porte au doigt une bague en or dont il n’a jamais voulu se défaire, même quand il n’avait pas d’argent pour boire ni pour dormir. Il y a, surmontant le bijou, un cachet, peut-être une armoirie presque effacée par une couche de charbon.

Il se lève et nous chante un air d’Hamlet : « Comme une pâle fleur. » La voix est superbe, un peu éraillée cependant par l’alcool ; puis, il nous déclame un passage de Rolla ; ses camarades n’ont pas l’air de comprendre