Page:Fraigneau - Rouen Bizarre.djvu/50

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encore des émanations de la veille. Les portes s’ouvrent et chacun entre, après avoir, on ne sait trop pourquoi, donné son nom aux agens, qui l’inscrivent sur un registre. On entend quelques conversations à voix basse, quelques murmures, puis, un grand silence se fait et les ronflemens interrompent seuls le ronronnement du poêle et le bruit de la rafale qui passe. De temps en temps un retardataire se glisse timidement dans la salle, s’approche sur la pointe des pieds, se heurte aux corps qui gisent de droite et de gauche et ne tarde pas, lui aussi, à s’endormir comme les autres. À deux heures du matin, le coup-d’œil du chauffoir est étrange.

Pêle-mêle, des tas d’hommes éclairés par la lueur d’un bec de gaz « traînent » pour ainsi dire, côte à côte. Sur le lit c’est un méli-mélo indescriptible : chemises ouvertes, poitrines nues, pieds nus, torses puissans de débardeurs des quais, barbes blanches au milieu desquelles la bouche entr’ouverte fait un trou noir, gamins hâves, déguenillés, toute la misère réunie, toutes les souffrances physiques confondues et se reposant un moment dans le même sommeil de brute.

Il y a des enchevêtremens de bras et de jambes, des antithèses singulières, des « charbonniers, » noirs comme des nègres, s’incli-