Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/102

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carrière où déployer son activité ingénieuse et, en attendant qu’on la lui offrît, il se promenait sans relâche, à travers les rues de la ville. Fort de l’ancienne amitié qui le liait à M. de Meillan, il passait la plupart de ses après-midi avec son fils, à jouer aux échecs. Jacques l’aimait beaucoup à cause de cette complaisance et écoutait avec un respect infini les phrases dans lesquelles — ainsi d’une drogue dans une pilule et du sucre — le noble vieillard enveloppait son expérience de la vie.

Sa réflexion creva les digues qui retenaient encore la causerie de dériver vers la métaphysique. Pampelunos aussi bien que Tintouin brûlaient d’envie de s’élever vers ces considérations sublimes qui prétendent concerner l’humanité et même le cosmos, mais où nous déguisons notre irrépressible besoin de parler de nous, de nous encore et toujours, de nous jusqu’à extinction de pensée.

— Et quand nous quittons les affaires, soupira Renaud Jambe d’Or, c’est pour retomber dans le tourment de l’idéal.

— Parlez pour vous, mon cher ami, objecta Augustin Paillon, qui était un esprit scientifique. Il y a d’autres cerveaux, pour lesquels l’idéal n’est qu’une chimère et qui réprouvent les hallucinations de l’arrière-monde.

— Cependant, protesta Jambe d’Or, quand j’ai fini de placer mon carbure et mes lampes d’acétylène et que je rentre chez moi, je sens que quelque chose en mon être est insatisfait. Mon âme s’élève, et je sens qu’elle me parle.

— Vous avez une maladie d’estomac, dit le médecin avec un ricanement.

— Pas la moindre. C’est mon âme qui parle et… et j’ai bien tort de ne pas l’écouter.

— Vous me faites pitié. L’idéal est une maladie. Ceux qui en guérissent sont les forts, les maîtres. Pour eux, le