Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/110

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lorsque Jacques eût été dans l’antichambre retirer des poches de son pardessus quelques livres qu’il montra, en annonçant son intention d’en faire à haute voix la lecture, la vieille dame, assommée déjà d’ennui, et estimant en avoir assez fait pour les convenances, en empêchant le jeune homme de se précipiter au cou de sa petite-fille, comme on suppose que ce serait l’habitude de tous les jeunes gens si on ne conservait pas dans les familles quelques grand’mères, précisément pour cette sauvegarde, la vieille dame s’éloigna sans s’excuser, et Jacques et Juliette restèrent seuls.

— Toujours du noir ? interrogea-t-il doucement.

— Oui… ou plutôt non, je me trompe. Moins qu’hier, parce qu’il n’y a plus cette cohue… Mais, tout de même, la vie n’est pas gaie.

— Non, la vie n’est pas gaie. Mais les gens qui sont dedans sont parfois bien drôles.

— Vous trouvez ?

— Je veux dire : bien ridicules. Me montrerez-vous quelque part dans le monde quelque chose de plus amusant, de plus pareil, en tout petit, au spectacle entier des intrigues de la vie, que le bal de Madame Morille ?

— Je n’y fais plus attention.

— Oh ! chère Juliette, ne vous laissez pas aller ainsi. Faites comme moi. Réagissez, remontez-vous, plastronnez !

— Cela vous est facile à dire, mon cher Jacques, d’autant plus facile que vous avez l’air, inexplicablement, d’un homme qui pense à un grand bonheur.

— Vraiment, Juliette !

Et Jacques s’avança vers la jeune fille avec anxiété, avec le désir soudain qu’elle lui fût prophétique, que ce bonheur auquel il pensait, l’évocation de sa parole de vierge allât le lui chercher, en violant l’avenir.