Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/122

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tenant au vautour, impassible sur son perchoir, des discours pleins d’amertume.

— Coco, tu m’écoutes ! geignait-elle, tu m’écoutes, Coco ? je te parle. Je trouve la vie très triste, et cette cuisine très sombre, et les gages que me donne mon patron sont dérisoires et toujours différés… Je vieillis sans raison, Coco, entre des vaisselles et des torchons, alors que, comme tant d’autres, j’aurais dû utiliser mon brevet supérieur, et devenir une cocotte richement entretenue et prendre l’air dans un huit-ressorts sur le Prado. Car j’ai mon brevet supérieur, mon cher Coco et c’est ce qui t’explique pourquoi je m’exprime avec tant de correction. Mais à quoi me servent ma bonne éducation et les arts d’agrément dont je possède les secrets ? à quoi ? je te le demande. Trouves-tu cela juste ? Ah ! je t’assure, mon pauvre Coco, si ce n’était pas pour toi à qui je me suis attachée, il y a des jours où je me ferais sauter la cervelle.

— Que faites-vous là, Eugénie ?

— Monsieur Jacques le voit, je respire un peu de pétrole. L’odeur du pétrole m’est infiniment plus agréable que celle de l’opoponax ou du benjoin. Sentez un peu Monsieur Jacques.

— Non, ma fille, je n’ai pas le temps. Je suis venu pour obtenir que vous nous fassiez du thé.

— Mais je n’ai pas de thé.

— Je le pense bien, et c’est pourquoi je vous confie cette pièce de vingt sous. Vous allez descendre dans la rue et m’acheter du beurre, du lait, du thé et du sucre : cinq sous de thé, deux sous…

— C’est bon ! Monsieur ne va pas m’apprendre mon métier. Je vous arrangerai tout pour dix-sept sous et j’ajouterai même des rôties, et je me fais forte d’avoir encore de quoi resservir ces Messieurs jeudi prochain, sans nouvelle dépense.