Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/147

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avec son fils. Il avait amené avec lui M. Cabillaud, de telle sorte qu’une conversation devenait impossible sur le sujet qui occupait Jacques.

M. Cabillaud était légèrement plus fatigué que la veille. Loin d’avoir réussi sa négociation auprès du monsieur qui lui devait quatre francs sur sa commission de crevettes d’Algérie, il n’avait recueilli que déboires, tristesses et déceptions. Il avait tout à fait l’air, réintégrant ainsi le logis de M. de Meillan, du pigeon volage de la fable, qui a eu tort d’abandonner le nid natal. Ah ! qu’il eût été meilleur de ne se jamais quitter !

Ses premières paroles, du reste, ne permirent aucun doute sur les dispositions de son âme. Il se plaignit de l’état de ses jambes, laissant entendre de manière irréfutable qu’un jour viendrait où, ayant monté les étages d’un ami, il lui serait peut-être impossible soudain de les redescendre, et qu’alors…

— Alors tu ne bougeras plus,… conclut brusquement M. de Meillan. Hé ! hé ! je le crains, répliqua M. Cabillaud avec un éloquent mouvement de la tête et des sourcils relevés.

Il y eut un silence. M. de Meillan cherchait à s’habituer à des images domestiques, représentant M. Cabillaud infirme, et devenu son hôte perpétuel, et M. Cabillaud, connaissant de longue date les mystères du mécanisme cérébral, en laissa jouer, à coup sûr, les rouages.

— Eh bien ! mon pauvre vieux ! dit enfin M. de Meillan.

— Ne m’en parle pas ! répondit M. Cabillaud avec simplicité.

Et ce fut tout. Le repas s’acheva dans une morne somnolence, personne ne faisant le moindre effort pour s’intéresser aux affaires de son voisin, chacun suivant éperdû-