Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/149

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deux fenêtres sans rideaux versaient le jour cru et pâle qu’affectionnent les gens d’affaires. Une magnifique bibliothèque en noyer sculpté contenait une collection de Manuels Roret, des relations de voyages, quelques romans de Méry, de Moinaux et de Dumas, divers atlas et un amas confus de pierres : échantillons de quartz et de micas, morceaux de silex et boules de phosphates, blocs de houille et éclats de marbre, galets, plâtras, morceaux de monuments, enfin une parcelle de tout ce qu’on peut arracher avec la pioche, la pelle ou les ongles du sol nourricier de la Terre, notre mère à tous. Au mur, derrière son fauteuil de cuir, se déroulait une carte d’Araucanie-Patagonie, dessinée par le maître lui-même, alors qu’il avait cru aux destinées brillantes d’Orélie-Achille Premier, le second roi de ce beau pays, et qu’il avait été nommé par lui ministre de l’intérieur et géographe attitré de la cour. En face, sur le mur opposé, s’entrecroisaient quelques armes : un vieux fleuret de prévôt d’escrime, le poignard péruvien trouvé dans la tombe d’un Inca et qui servait à découper les beefsteaks au beurre d’anchois lorsqu’ils étaient trop durs, un eustache de treize sous, et un sabre d’officier bavarois, souvenir de la guerre de 1870. Sur le bureau lui-même s’entassaient mille objets : des cailloux et des minerais, encore et toujours, le modèle B. du verrou automatique, qui servait de presse-papiers, des piles croulantes de dossiers, une boîte à poudre de chasse où était figuré ce cartouche : « Poudre de l’oncle Adolphe, attention !… », des pipes, des porte-plumes, un pot à tabac en argile crue modelée par M. de Meillan : tout cela submergé d’une fine poussière et tenant tellement de place qu’il en restait à peine assez pour écrire, en élevant le coude, de toutes petites lettres sur un semblant de sous-main…

C’était là que M. de Meillan vivait, pensait, rêvait. Son