Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/169

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— C’est cela précisément qui représente la grande difficulté… Cent francs !… Si je les avais, pour le seul plaisir de vous obliger, je vous les avancerais moi-même et sans intérêts. Les intérêts, ça me dégoûte. Il faut bien que je sois forcée, par mes prêteurs, à en demander, pour oser le faire vis-à-vis des personnes qui, ayant besoin d’argent, s’adressent à moi. Enfin, j’aurais beau me plaindre, ça ne me rendra pas plus riche, et je dépendrai toujours des autres.

À cet instant, un petit garçon d’environ quatre ans, très sale et très mal vêtu, se précipita dans la chambre et courut vers la vieille dame :

— Grand-mère, dit-il avec un terrible accent du terroir, grand’mère ! je ne veux pas rester dans la cuisine quand il y a des messieurs au salon.

— Comme il est gentil ! dit Jacques en s’écartant sans affectation pour protéger ses jambes de tout contact.

— Il s’intéresse déjà aux affaires, sourit M. Cabillaud. Il faut te dire, mon cher Jacques (car elle est bien trop modeste pour en parler la première), il faut te dire que madame Verrière est une femme d’un dévouement admirable, et qui s’est toujours sacrifiée aux autres. Elle a un fils qui, sorti de Polytechnique et devenu ingénieur, a épousé une femme tout-à-fait…, enfin qui s’est sauvée on ne sait où. Eh bien ! elle a recueilli le petit garçon du ménage dispersé, elle l’entoure des soins d’une mère, et tout cela pour épargner à son fils les tracas d’une éducation enfantine… On ne trouve pas beaucoup de gens comme elle, de nos jours.

Madame Verrière s’inclina avec pudeur, puis, ayant persuadé à l’enfant du Polytechnicien qu’il serait plus convenable à lui d’aller attendre ailleurs qu’on eût besoin de ses lumières, elle reprit la conversation interrompue :