Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/188

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« Je n’avais pas le loisir, mon départ étant précipité, de m’expliquer longuement sur la feuille volante que j’ai laissée sur ma table ; c’est pourquoi tu as peut-être pu t’imaginer que j’étais parti pour le Caucase. Il n’en est rien… Ah ! la mine d’alcool du Caucase ! quelle chance, mon fils, que je m’en sois retiré à temps ! Figure-toi que non seulement cette mine n’existait pas, mais encore qu’on n’a jamais vu une goutte d’alcool dénaturé dans ce pays, excepté chez les épiciers et les droguistes, pour l’entretien des petites lampes sur lesquelles les ménages modestes cuisent leurs œufs à la coque.

« J’ai été indignement trompé par un filou de Berlin, extradé, et que la police a fini par cueillir, qui se faisait passer pour un prince Popototoff… La Providence m’a sauvé d’une mauvaise passe au moment où j’allais y entraîner ce brave homme de M. Tintouin, cet excellent, cet estimable monsieur Tintouin dont je ne saurais trop admirer la confiance et le courage, à un moment où personne ne voulait croire à ma mine, avec juste raison d’ailleurs. Il m’a avancé, après quelques doutes, vite dissipés (tu l’as entendu me les soumettre), des sommes assez importantes qui ont toutes disparu dans la caisse de Popototoff pour l’achat de la mine-fantôme. Mais enfin il a pris peur au moment de livrer le plus gros morceau, et c’est ce qui l’a garanti. Du reste, il sera indemnisé, et au-delà, par une surprise que je lui réserve et dont je te prie, si tu le rencontres, de ne lui parler qu’à mots couverts, de façon à ce qu’elle ait toute sa valeur au moment voulu : je lui enverrai, lors de la constitution définitive de notre Société pour l’exploitation des charbons de Carthage, dix parts de fondateur, prélevées sur ma quotité personnelle, et qui vaudront, dans dix ans, trente mille francs comme un sou.

« Tu dois comprendre qu’en face de cette brillante pers-