Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/217

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— Hier soir, je m’étais endormi de faiblesse, mais vers deux heures du matin, je me suis réveillé : on grattait à ma porte. Sortant de mon rêve, ma première pensée fut pour M. Espérandieu, et la suivante pour ton père… Mais non, c’était le vautour. Ah ! si tu l’avais vu ! Ses yeux flambaient… Il a sauté sur moi comme un aigle sur un mouton, cherchant à me crever les yeux, probablement pour me mettre hors d’état de me défendre… J’ai vu beaucoup de choses dans ma vie, mais jamais, depuis la crampe qui m’a pris, il y a vingt ans, dans une traversée que j’avais parié de faire à la nage de l’embouchure de l’Orénoque, dans le Sud-Amérique, jamais je n’ai eu si peur… C’est qu’il est fort comme un turc, le sauvage… Du reste, c’est encore une bête d’Algérie… Ce qu’il y a de certain, c’est que, si je continue à ne pas manger, mon compte est réglé. Va vite me chercher ce qui reste de chocolat, je le croquerai à même la tablette… Ah ! Seigneur ! quelle nuit !

Sitôt que M. Cabillaud eût mangé, il se rendormit, d’un sommeil qui dura douze heures et que Jacques ne voulut point troubler.

Hélas ! le pauvre jeune homme (nous allons bientôt le quitter, et nous désirons que le cher lecteur s’apitoie encore un peu sur lui), le pauvre jeune homme ne devait pas longtemps goûter les joies exténuantes, mais miraculeuses, que le souvenir des heures de tendresse apporte à celui qui l’accueille, au lendemain d’un bonheur. Car il reçut, l’après-midi, ces deux lettres, réponse sans doute de sa demande de la plage, et que voici, dans leur texte exact, sans commentaires :

Monsieur,

Je reçois ce matin avec le plus grand étonnement votre étrange lettre. Je n’eusse jamais pensé que l’intimité dans