Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/47

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— Ah ! tu n’es pas majeur !… Ah ! tu n’es pas majeur, et tu vas au bal avec un frac de l’oncle Adolphe qu’il m’a fallu fichtre bien dix francs pour faire retoucher, et qui te va comme un gant de Suède à la patte d’un canard ! Ah ! tu n’es pas majeur, et tu en profites pour faire des dettes… Eh bien ! mon ami, à ton aise !… Eugénie sera remboursée, puisque tu me mets le couteau sur la gorge, mais tout cela sera porté à ton compte. Car je tiens un relevé exact de tout ce que tu dépenses en dehors de la soupe bi-quotidienne à laquelle tu as droit strictement. Tu me dois déjà huit mille neuf cent cinquante francs depuis ton âge de raison. Et cela augmente chaque mois dans des proportions effrayantes.

À ce moment même, reparut Eugénie, en toilette de ville et les yeux fardés :

— Monsieur, dit-elle, je voudrais…

— Ah ! oui ! c’est l’heure où vous sortez… Oui, très bien… Ma fille, votre vie privée ne nous regarde pas. Seulement, il y a des limites, des limites à ne pas dépasser, et qui constituent ce que l’on appelle les convenances sociales. C’est pourquoi vous me ferez le plaisir d’être rentrée à deux heures du matin, au plus tard. Moi qui vous parle, et qui suis votre maître, je ne rentre jamais après cette heure. J’ai un concierge, ma fille, moi, si vous n’avez pas de scrupules… C’est bien ! allez !

Et Eugénie, sans répliquer, s’en fut s’occuper de ses affaires.

— Bref, reprit M. de Meillan lorsqu’il fut de nouveau seul avec son fils, tu as encore besoin d’argent. Inutile de protester : on sait ce que c’est qu’un jeune homme qui va au bal. Mais il tombe bien mal, ton bal, mon enfant !… Ah ! si cet animal de Bruidequille avait été au rendez-vous, ce n’est pas une thune, mon petit, c’est un œil de