Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il existait, voilà. Et c’est déjà bien beau dans une époque comme la nôtre. Seule, la manière dont il s’acquittait de cette fonction lui était strictement personnelle et n’avait que de lointains rapports avec les moyens choisis par une foule de gens sérieux, pour le même but. On a peut-être compris, et on comprendra de plus en plus en lisant ce petit roman combien une définition brutale telle que littérateur, ou rentier, ou étudiant serait insuffisante. Disons donc, et plus vaguement, que Jacques de Meillan était un jeune homme, et un jeune homme qui se levait tard.

Il se levait tard, parce qu’il se couchait relativement encore plus tard et que le sommeil repose. Il se levait tard, parce que la matinée ne contient que des heures ingrates et difficiles à occuper avec intelligence. Il se levait tard, parce qu’il était infiniment mieux couché que debout. Il se levait tard, parce qu’il avait à se venger des dix ans de supplice où, sous prétexte d’un baccalauréat à obtenir, on l’avait obligé à s’habiller à cinq heures et demie tous les matins.

Excepté quand il déjeûnait en ville, il ne quittait donc jamais son lit avant onze heures, et il employait à des projets ou à des rêves le temps qui s’écoulait entre son réveil et cet instant fatidique. Le lendemain du bal des Morille, il ne revint à la conscience du monde réel qu’à dix heures. Il sonna furieusement Eugénie qui, n’attendant que ce signal, apparut avec un bol de café au lait tiède, qu’elle déposa sur les genoux de son jeune maître. Puis, comme elle s’esquivait discrètement, il la retint d’un geste de la main, et lui désignant un fauteuil :

— Asseyez-vous, ma fille, et répondez à mes questions.

Eugénie obéit. Elle était tout-à-fait fatiguée de la soirée de la veille et il fallait l’inconsciente cruauté de M. de Meillan pour exiger de cette pauvre fille un service aussi