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arôme qui flatte l’odorat… j’ai promis, je m’exécute : seulement il ne faudrait pas me demander un œuf à la coque après que j’aurai enlevé le couvert. Je sens qu’à ce moment-là, la tortue me jetterait par terre d’un coup de patte.

Jacques avait fini son café au lait. Il tendit le bol à Eugénie qui disparut, puis il contempla sa chambre. Occupation facile. Sujet de méditation éternellement nouveau et indéfiniment fécond.

C’était une très jolie chose que sa chambre, par un doux soleil d’hiver, comme ce matin de février. Les rayons jaune-pâle entraient par les deux fenêtres à ras de plancher, éveillant la vie des poussières dansantes, semblables à des vols de moucherons dans les beaux soirs du mois d’août. Ils allumaient de minces éclairs au dos des livres de la bibliothèque entr’ouverte, ils venaient mourir en briques d’or sur la cuirasse de la tortue. Une subtile gaieté vibrait dans l’atmosphère. Les bibelots de l’étagère s’animaient comme de petits personnages. Ils se racontaient leurs souvenirs et Jacques suivait leur conversation, la plupart du temps ironique.

— On aime les bibelots, pensait-il, on ne les comprend pas. On les estime pour leur valeur d’art ou leur intérêt de curiosité. Mais ils vivent, les bibelots, ils aiment qu’on s’occupe d’eux. Qui donc n’a remarqué leur air de satisfaction lorsqu’on les met à leur vraie place, l’exaltation pour ainsi dire de leur physionomie, et au contraire, leurs reproches muettement terribles quand on les exile ou que l’on se met à oublier les souvenirs charmants ou graves, que leur destinée de bibelots est d’éveiller ? Ils pardonnent une mutilation, pour peu que la malice ne s’en soit pas mêlée, mais l’oubli et la négligence les ternissent, comme les perles que ne réchauffe plus la