Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/272

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dans les systèmes où leur caractère éclate le plus clairement, une classification universelle ou des choses, ou aes mots, ou des idées, ou des formes de la pensée. De tous ces points de vue, quel est le plus vrai ? quel est le préférable ? Tous sont vrais dans une certaine mesure ; mais il ne faut pas s’y tromper, tous sont différents. Quand on veut étudier ce grand sujet, il faut bien savoir avant tout ce qu’on se propose. Quels objets prétend-on classifier ? Voilà ce dont il faut se ren­dre compte clairement, ce qu’il faut clairement indiquer. Il ne paraît pas que les philosophes in­diens aient eu ce soin, et certainement Aristote l’a négligé. Kant l’a eu ; mais il a omis, ainsi qu’Aristote, de dire par quelle méthode il était arrivé à reconnaître les catégories qu’il énumère ou qu’il classe. Les formes de l’entendement, c’est la conscience, c’est la réflexion qui les lui donne très-probablement; ou bien, s’il les induit uniquement de l’existence des jugements euxmêmes, encore fallait-il justifier la légitimité de cette induction, et c’est ce qu’il ne fait pas. Une doctrine régulière des catégories exigerait donc:1° qu’on fixât, sans qu’aucune hésitation fût possible, le but qu’on veut atteindre ; 2 qu’on exposât la méthode qu’on prétend suivre pour arriver à ce but.

Ce n’est pas ici le lieu de tracer un système nouveau, et de recommencer l’œuvre difficile où ont échoué tant de génies ; mais s’il fallait se prononcer pour l’un d’eux, c’est encore celui d’Aristote qui semblerait le plus acceptable. Il s’adresse surtout aux choses par l’intermédiaire des mots ; mais comme l’esprit part aussi de la réalité pour y puiser, si ce n’est tous les élé­ments, du moins l’origine de la connaissance, ce système s’adresse ou peut s’adresser aussi à l’esprit. On y retrouve donc les deux grands cô­tés de la question. Les catégories d’Aristote sont à la fois objectives et subjectives, comme on pourrait dire dans le langage kantien ; celles de Kant, au contraire, sont purement subjectives, et elles sont une des bases de ce scepticisme sin­gulier que le criticisme est venu produire dans le sein de la science. Le schématisme, dont Kant a cru les devoir accompagner pour les rendre applicables et pratiques, n’est lui-même qu’une invention plus vaine encore. Les concepts pas

{dus que les schèmes ne nous apprennent rien de a réalité ; ils ne peuvent rien nous en appren­dre ; ils ne sortent point de l’enceinte infran­chissable de la raison pure. Quoi qu’en ait pu dire Kant, l’idéalisme exagéré de Fichte était une conséquence parfaitement rigoureuse de sa Critique, et la doctrine seule des catégories suffirait pour l’attester. Aristote a procédé tout autrement, et ici il en a appelé, comme partout ailleurs, à l’observation régulière et méthodi­que. Il n’y a pour lui de réalité que dans l’indi­vidu, dans le particulier. La substance première, c’est l’individu qui tombe sous nos sens ; le gé­néral n’est que la substance seconde qui n’a d’être que par l’être individuel, et en tant qu’elle le reproduit d’une certaine façon. Platon, au contraire, n’avait voulu reconnaître de realité que dans l’universel et dans le genre, et de là toute la théorie des idées. Aristote essaye de bâ­tir tout l’édifice des catégories sur le ferme fon­dement de la réalité individuelle. Nous pensons que c’est là, quelque résultat qu’on obtienne d’ailleurs, la seule base vraiment stable. Les ca­tégories ainsi construites peuvent être transpor­tées sans peine de la réalité où on les a re­connues, à l’esprit qui les a faites ; et, toutes différences gardées, on peut les retrouver iden­tiques sur ce nouveau terrain. Au contraire, en voulant partir, comme Kant l’a fait, de la rai­son elle-même, on ne peut pas sortir de la rai­son; la réalité échappe, la raison n’a pas le droit de pousser jusque-là, et elle reste enfer­mée dans ce cercle de scepticisme où la Criti­que de la raison pure est condamnée à tourner sans cesse. Le scepticisme n’a jamais pu naître dans le sein du péripatétisme:il n’y a point un seul péripatéticien qui ait été sceptique, et le dogmatisme du maître a été si puissant qu’au­cun disciple, à quelque rang qu’il fût placé, n’a même jamais incline à cette pente fatale où le criticisme s’est perdu. Parmi tant d’autres bar­rières, la doctrine des catégories, telle qu’Aris­tote l’a conçue, a été une des plus fortes et des plus utiles. Le système d’Aristote est loin d’être parfait sans doute; mais c’est encore en suivant ses traces qu’on peut en.élever un meilleur et un plus solide. Toute théorie qui n’embrassera pas la question tout entière, sera ruineuse : il Jaut que les catégories puissent à la fois s’appli­quer à la réalité et à l’esprit. C’est le sentiment vague de cette nécessité qui poussait Plotin quand il tentait de faire les catégories du monde intelligible et celles du monde sensible. Seulement il ne fallait pas séparer, comme il l’a fait, les unes des autres, et creuser entre elles un abîme infranchissable. Mais, du moins, voilà les deux termes qu’il s’agit d’unir ; c’est le rap­port seul qui a manqué au philosophe alexan­drin. Kant n’a pas même voulu s’occuper de ce rapport, et il s’est confiné dans un seul terme, en méconnaissant et en niant l’autre. Aristote a été plus près de la solution que tous les deux, parce que le fondement sur lequel il s’appuyait était à la fois le plus inébranlable et le plus simple.

Une théorie complète des catégories est en­core dans la science une sorte de desideratum que l’auteur de 1 Organon lui-même n’a pu faire disparaître. C’est une lacune qui est toujours à combler, et c’est un labeur vraiment digne des plus vigoureuses et des plus délicates intel­ligences. On peut consulter, outre les ouvrages cités, YEssai sur la métaphysique d’Aristote, par M. F. Ravaisson, Paris, 1837, Ie1 volume. Voy. les articles Kanâda, Gotâma, Pythagore, Artstote, Kant.B. S.-H.

CATIUS, philosophe latin, contemporain de Cicéron, était né dans la Gaule Cisalpine. Il professa les doctrines d’Épicure, et il est, avec Amafanius, un des premiers qui les firent con­naître aux Latins ; mais il paraît les avoir expo­sées avec assez peu d’habileté, si l’on en juge par les railleries de Cicéron (Epist. ad fam., lib. XV, ep. xvi et xix) et d’Horace (Sat., liv. II, sat. vi). Cependant Quintilien [Inst. orat., liv. X. ch. i) le présente comme un écrivain qui n’est pas sans agrément. Il avait laissé un ouvrage en quatre livres sur la nature des choses et le souverain bien. Cet ouvrage est aujourd’hui perdu.

CAUSE. (Idée de cause. Principe de causa­lité.) Rien de plus familier à l’esprit que les notions d’effet et de cause ; rien de plus univer­sel, de plus évident ni d’une application plus constante que le rapport qui les unit et qu’on appelle le rapport ou le principe de causalité. Essayez, si vous le pouvez, de supprimer ce principe et les termes qu’il contient dans son sein ; essayez seulement de l’ébranler par le doute ; à l’instant même la perturbation la plus profonde est jetée dans notre intelligence : au lieu d’idées qui s’enchaînent, se coordonnent et se rattachent à un centre commun, il ne reste plus que des impressions confuses et fugitives ; il n’est plus permis de voir autre chose dans l’univers qu’un monstrueux assemblage de phé­nomènes