l’ordre à la confusion, et, mêlant son propre sang au limon de la terre, il fit naître à la place des êtres difformes dont nous avons parlé, des animaux et des hommes pareils à ceux que nous voyons aujourd’hui (voy. Fabricius, Bibliothèque grecque, t. VI, et J. C. Scaliger, Emendatio temporum, à la fin). Évidemment ce n’est pas du soleil qu’il peut être ici question ; mais il s’agit d’un principe intelligent, moteur et ordonnateur de l’univers. En même temps nous voyons que la matière et les éléments constitutifs des êtres ont toujours existé à côté de cette puissance supérieure qui leur a donné l’organisation et la vie. Eh bien, cette double croyance est très-clairement désignée par Diodore de Sicile (liv. II, p. 143, édit. d’Amsterdam), dans le trop court passage qu’il a consacré à la science et à la religion chaldéennes.\roici ses propres termes : « Les Chaldéens prétendent que la nature du monde (τήν μέν του κόσμου φύσιν, sans doute il veut parler de la substance) est éternelle, qu’elle n’a jamais eu de commencement et n’aura jamais de fin, mais que l’arrangement et. l’ordre de l’univers ont été l’œuvre d’une providence divine, et tout ce qui arrive encore aujourd’hui dans le ciel, loin d’être dû au hasard ou à une cause aveugle, a lieu par la volonté expresse et fermement arrêtée des dieux. » Mais, tout en renonçant au culte des astres, les Chaldéens n’ont jamais abandonné l’astrologie ; ils la justifiaient, au contraire, par l’idée même de la Providence’et de l’harmonie universelle, prétendant que tout se tient, que tout s’enchaîne dans la nature, les événements de la terre aux mouvements du ciel, et que les premiers sont la conséquence inévitable des derniers. Ils ont même porté si loin l’abus de cette science chimérique, que, sous le consulat de Popilius Læna et de Cneius Calpurnius, le préteur Cornélius Hispalus se crut obligé de chasser de Rome et de l’Italie tous les Chaldéens qui s’y trouvaient alors (Valère Maxime, liv. I, ch. m). Alexandre le Grand, après leur avoir témoigné quelque respect, fut conduit, par le spectacle des mêmes aberrations, à les mépriser complètement, et dans toute l’antiquité le nom de Chaldéen devint synonyme d’astrologue (Diodore de Sicile, liv. XVII).
Les écrivains grecs, tant païens que chrétiens, sont aussi d’accord avec la Bible et les traditions hébraïques pour attribuer aux Chaldéens le culte des démons et des anges, ou des bons et des mauvais génies, de quelque nom qu’on les appelle. Mais nous ne saurions admettre comme authentiques les détails qu’ils nous transmettent sur ce point ; ceux que nous trouvons, par exemple, dans les écrits d’Eusèbe (Prœp. evang., lib. IV, c. v), de Porphyre (de Abstinentia), de Jamblique (de Mysteriis Ægyptiorum, sect. vin), et dans le recueil des prétendus oracles chaldaïques : car il est évident que toute cette hiérarchie de dieux secondaires, de démons, de héros, de génies de tout ordre et les noms mêmes qu’ils portent, appartiennent à la philosophie néo-platonicienne. C’est de là aussi qu’on a pris, sans nul doute, la distinction du Père, c’est-à-dire du principe suprême et de la première intelligence, des substances intelligibles et des substances intellectuelles, d’une lumière génératrice ou hypercosmique et d’une lumière engendrée, et cette idée toute platonicienne d’une âme du monde, source du mouvement et de la vie dans toutes les parties de la nature. Voy. Stanley, Philosophia orientalis, lib. IV.
Les noms propres dans lesquels on a voulu personnifier la sagesse chaldéenne nous offrent encore plus d’incertitude que les doctrines. Ainsi, il est fort douteux qu’il ait existé un ou plusieurs Zoroastre chaldéens, distincts du grand Zoroastre, fondateur delà religion des Perses. Nous ne connaissons que le nom d’un certain Azonace, mentionné par Pline (liv. XXX, ch. i), comme le maître de Zoroastre. Notre ignorance est tout aussi irrémédiable à l’égard de Zoromasdre et de Teucer le Babylonien. Enfin, au milieu des assertions contradictoires dont il a été l’objet, on se demande encore ce que c’est que Bérose, s’il en a existé un seul ou plusieurs, dans quel temps il a vécu et quel fonds l’on peut faire sur les fragments historiques et mythologiques qui nous sont parvenus sous son nom par des canaux divers.
Bien que ces résultats ne soient pas d’une utilité directe pour l’histoire de la philosophie, nous avons cru cependant devoir y insister ; car ils serviront peut-être à affaiblir un préjugé encore trop accn dité dans certains esprits, celui qui rend tributaires de la sagesse orientale les systèmes les plus originaux de la philosophie grecque.
Voy., outre les auteurs que nous avons cités dans le cours de cet article : Brucker, Histoire critique de la Philosophie. 1.1, ch. 11 ; Stanley, Historia Philosophiœ orientalis, avec les notes de Leclerc, in-8, Amsterdam, 1690 ; —Norberg, Dissertatio de Chaldœis septentrionalis originis, in-4, Londres, 1787· Gesenius, l’article Chaldée dans VEncyclopédie d’Ersch et Gruber, t. III, Leipzig, 1827.
CHARMA (Antoine), philosophe français, né en 1801, à la Charité-sur-Loire. Après avoir terminé ses études au collège Bourbon, il entra à l’École normale, qui fut licenciée en 1822, avant qu’il y ait achevé sa deuxième année. Il avait dès lors lé goût de la philosophie, et, quoique la vivacité de son imagination pût nuire parfois à la rectitude de son jugement, il avait été engagé à y persévérer par un premier succès au concours général, et par les suffrages de M. Cousin, qui le distingua à l’Ëcole normale. Aussi, lorsque la Restauration eut succombé, il fut désigné, en 1830, pour aller professer la philosophie à la Faculté de Caen. C’est là qu’il prit le grade de docteur : c’est là aussi que pendant trente-neuf ans il donna un enseignement qui souleva parfois des orages ; on l’accusait d’attaquer le christianisme, et plus tard de se mêler à des débats politiques, où il ne paraît pas d’ailleurs avoir montré une grande constance d’opinions. A la fin de sa vie il était réconcilié avec tous ses adversaires, et, tout à fait dégoûté des luttes qu’il avait cherchées avec une sorte de passion, il dépensait dans des études d’archéologie une activité d’esprit qui ne risquait plus d’exciter les défiances politiques ou religieuses. Il mourut à Caen, en 18t>9. Outre des biographies intéressantes, comme celles de Fontenelle, de Lanfranc, de saint Anselme et un manuel de philosophie élémentaire, on a de lui : 1° Essai sur les bases et les développements de la moralité, Paris, 1834. L’ouvrage est divisé en deux parties, la théorie de la volonté et son histoire. On y trouve une grande vigueur de pensée, mais des erreurs de goût et un penchant trop marqué pour l’emphase ; 2° Leçons de philosophie sociale cl de logique, Paris, 1838-1840 ; 3° Essai sur la philosophie orientale, 1842. Ces deux derniers écrits sont inférieurs aux précédents, et tous réunis ne paraissent pas valoir le premier essai de l’auteur, sa thèse sur le Langage, réimprimée en 1846. Malgré des écarts d’imagination, et surtout malgré une préface ridicule, ce livre a des parties excellentes et mériterait d’être plus souvent consulté. L’auteur y réduit le discours à trois parties essentielles, et soutient par des raisons