Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des raisons spermahques dont Zénon avait posé le principe, dont Chrysippe a déve­loppé les conséquences. Puisque toutes choses étaient à l’avance contenues en germe dans le feu primitif qui est la semence du monde, et puisqu’elles ne se développent que conformé­ment aux lois immuables de la raison divine, il s’ensuit que le monde et tous les phénomènes du monde sont sous l’empire d’une invincible et absolue nécessité. De là cette conception d’une providence identique au destin qui soumet tout aux lois nécessaires du rapport de cause et d’effet.

Quelle peut être dans ce système la nature de l’âme ? Chrysippe l’indique lui-même : « Jupiter et le monde, dit-il, sont comme l’homme ; la providence comme l’âme de l’homme. » (Plut., Adv. Stoic., c. xxxvi.) Dieu est un feu vivant ; l’âme, émanation de Dieu, est une étincelle, un air chaud, un corps. C’est là un des dogmes que Chrysippe a le plus à cœur d’établir : « La mort, dit-il, est la séparation de l’âme et du corps. Or, rien d’incorporel ne peut être séparé du corps, puisqu’il n’y a de contact que d’un corps à un autre. Mais l’âme peut toucher le corps et en être séparée. L’âme est donc un corps. » Maintenant cette âme, qui est un corps, n’en a pas moins pour faculté dominante la raison que Chrysippe déclare identique au moi. C’est la raison qui fait l’unité de l’âme, c’est à la raison que se ramènent toutes les facultés d’ordre secondaire, même les instincts et les passions, qui n’en sont que des formes gros­sières et inachevées. Bien plus, dans ce système où le destin plane sur toutes choses, l’âme est libre. Et dans quels actes l’est-elle ? Dans l’assen­timent qu’elle donne aux impressions qu’elle re­çoit des objets extérieurs, c’est-à-dire dans ses jugements cataleptiques, dans sa certitude. Et il en est ainsi, dit Chrysippe, parce qu’alors l’âme n’obéit qu’aux seules lois de sa nature. Mais cette nature, dira-t-on, c’est le destin qui l’a faite et qui la gouverne comme tout le reste. Chrysippe en convient, mais il soutient que sous la loi du destin nous restons libres, de même que la pierre lancée du haut d’une mon­tagne continue sa route en raison de son poids et de sa forme particulière. Après quoi il ne reste plus à Chrysippe qu’à se porter comme dé­fenseur de la liberté, et à réfuter les épicuriens, qui n’accordent à l’homme qu’une liberté d’in­différence. Chrysippe soutient en effet contre eux, que ce que nous appelons équilibre des mo­tifs ne prouve au fond que notre ignorance des raisons qui ont déterminé l’agent moral. Enfin, malgré ces nobles attributs de liberté et d’intel­ligence, l’âme ne peut espérer d’être immortelle. Elle est destinée, lors de la future combustion du monde, à perdre son individualité, à se réu­nir au principe divin dont elle émane. Au moins survivra-t-elle au corps ? Cléanthe l’affirme ; mais pour Chrysippe, cette vie à venir de quel­ques instants est un privilège qui n’est accordé qu’aux âmes des sages.

La morale tient intimement à la physique. Chrysippe disait qu’on ne peut trouver la cause et l’origine de la justice que dans Jupiter et la nature. Delà cette grande maxime : « Vis con­formément à la nature ; » à la nature univer­selle, entendait Cléanthe ; à la nature humaine, abrégé de la nature universelle, dit Chrysippe. Le précepte reste le même, mais le sens en est plus précis et l’interprétation moins périlleuse. Et pourtant, c’est dans l’interprétation de ce pré­cepte que ce ferme esprit se trahit lui-même et s’égare en un cynisme extravagant. On trouve dans Chrysippe une justification de l’inceste, une exhortation à prendre pour nourriture des cada­vres humains, une apologie de la prostitu­tion, etc., etc. « Considérez les animaux, disait le hardi logicien, et vous apprendrez par leur exemple qu’il n’est rien de tout cela qui soit immoral et contre nature. » (Plut., de Stoic. repug., c. xxn.) Déplorable sophisme que réfu­tent assez ces nobles paroles de Chrysippe luimême : « Vivez conformément à la nature… ; la nature humaine est dans la raison. » Étrange aberration par laquelle on prétend rentrer dans la nature lorsqu’on l’outrage dans ce qu’elle a de plus sacré. Chrysippe s’est pourtant gardé de certaines exagérations. Cléanthe considérait le plaisir comme contraire à la nature. Chrysippe avoue qu’il serait d’un insensé de considérer les richesses et la santé comme choses sans valeur, puisqu’elles peuvent conduire au bien véritable. C’est encore à Chrysippe que revient l’honneur d’avoir établi le droit naturel sur une base so­lide, en montrant que le juste est ce qu’il est par nature, non par institution. Enfin, nous sa­vons que de tous les stoïciens Chrysippe est ce­lui qui a le plus contribué à organiser la science morale ; mais, faute de témoignages, il nous est impossible de séparer son œuvre de celle de ses devanciers et de ses successeurs.

Cette doctrine dont nous venons de recueillir quelques détails, Chrysippe l’avait défendue par sa parole, l’avait exposée dans de nombreux ou­vrages. L’esprit subtil des Grecs était émerveillé de sa dialectique. « Si les dieux se servaient de dialectique, disaient-ils, ce serait celle de Chry­sippe qu’ils choisiraient. » Les quelques sophis­mes qui nous en sont restés ne justifient pas ce magnifique éloge et ne sont même pas dignes de l’attention de l’historien. Quant aux ouvrages écrits, le nombre en est prodigieux. Diogène cite (liv. III, ch. clxxx) les titres de trois cent onze volumes de logique, et il y avait environ quatre cents volumes de physique et de morale. Une telle fécondité s’explique en partie quand on sait que dans ses improvisations écrites, Chrysippe faisait entrer toute sorte de témoi­gnages, et que dans un seul livre il avait inséré toute la Mcdée d’Euripide. Les rares fragments qui nous sont restés de tant de volumes, ne suf­fisent pas à nous faire connaître cet éminent stoï­cien que ses contemporains appelèrent la co­lonne du Portique, et dont l’antiquité disait : « Sans Chrysippe, le Portique n’eût pas existé. » Nous ignorons même l’époque précise de sa mort. Apollodore la place en 208, Lucien en 199. On raconte qu’après avoir assisté à un sacrifice, il but un peu de vin pur et mourut sur-le-champ. D’autres disent que, voyant un âne manger des figues destinées à sa table, il fut pris d’un tel accès de rire, qu’il expira.

Consultez sur Chrysippe : Baguet, Commen­tatio de Chrysippi vita, doctrina et reliquiis, in-4, Louvain, 1822 ; Petersen, Philosophice Chrysippeae fundamenta, in-8, Altona, 1827. Ajoutez-y les dissertations plus anciennes de Hagedorn : Moralia Chrysippea e rerum naturis petila, in-4, Altenb.. 1685 ; Ethica Chrysippi, in-8, Nuremberg, 1715 ; et celle de Richter, de Chrysippo sloico fastuoso, in-4, Leipzig, 1738.

D. H.

CICÉRON (M ircus Tullius), né à Arpinum ?

106 ans avant l’ère chrétienne, a plus brille comme orateur et comme homme d’Ëtat que comme philosophe. Sa carrière littéraire et poli­tique étant assez connue, nous nous bornons à indiquer la part qu’ont obtenue dans sa vie les études et les travaux philosophiques. On doit re­marquer, et lui-même reconnaît, qu’il ne s’y li­vra guère d’une manière assidue, qu’aux époques