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ALAI
ALBE
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hébreu, qui existaient déjà dans sa couronne de lumière, parurent successivement devant lui, chacune d’elles le suppliant de la placer en tête du récit de la création ; cet honneur est accordé à la lettre beth, parce qu’elle commence le mot qui signifie bénir. C’est ainsi que l’on prouve que la création tout entière est une bénédiction divine, et qu’il n’y a pas de mal dans la nature. Vient ensuite une longue énumération de toutes les propriétés mystiques attachées à chacune de ces lettres et tous les secrets qu’elles peuvent nous découvrir, combinées entre elles par cer­tains procédés cabalistiques. Voy. Kabbale.


ALAIN de Lille (de Insulis, Insidensis, ma­gnus de Insulis), appelé aussi par quelques Al­lemands, Alain de Ryssel, surnomme le Docteur universel. On ne sait pas précisément le lieu ni la date de sa naissance et de sa mort, et, en gé­néral, sa biographie est fort peu connue. Casimir Oudin (Comm. de Script, eccl., t. II, p. 1388), suivi par Fabricius (Biblioth. med. et inf. latinit.), pense qu’il est le même personnage qu’Alain, évêque d’Auxerre, mort en 1203 ; mais cette hy­pothèse est combattue par Du Boulay (Hist. acad. Paris., t. II) et par l’abbé Lebœuf (Dissert. sur l’hist. de Paris), qui reconnaissent l’existence de deux Alain, tous deux de Lille ; de son côté l’abbé Lebœuf a contre lui les auteurs de l’Histoire lit­téraire (t. XIV). qui, en distinguant le docteur universel et l’évêque d’Auxerre, ne veulent pas que celui-ci ait porté le nom de de insulis. Au milieu de ces incertitudes un seul fait est positif, c’est qu’un docteur scolastique du nom d’Alain, qui vivait dans le courant du xiie siècle, a com­posé, entre autres ouvrages célèbres au moyen âge, un traité de théologie, de Arte fidei, et deux poèmes philosophiques intitulés l’un, de Planctu naturœ, sorte de complainte contre les vices des hommes, l’autre, Anti-Claudianus. On sait que Claudien, dans la satire qu’il nous a laissée contre Rufin, imagine que tous les vices s’étaient réunis pour créer le ministre de Théodose. L’auteur de l’Anti-Claudianus, se plaçant à un point de vue opposé, montre, au contraire, les vertus qui tra­vaillent à former l’homme et à l’embellir de leurs dons. Parmi les idées communes et quelques dé­tails précieux pour l’histoire littéraire que cette fiction renferme, deux pensées philosophiques peuvent en être dégagées : la première, que la raison, dirigée par la prudence, découvre par ses seules forces beaucoup de vérités, et spécialement celles de l’ordre physique ; la seconde, que, pour les vérités religieuses, elle doit se confier à la foi. Cependant, dans le traité de Arte fidei, Alain semble considérer la théologie elle-même comme étant susceptible d’une démonstration rationnelle. Il ne suffit pas, selon lui, pour triompher des hé­rétiques, d’en appeler à l’autorité ; il faut encore « recourir au raisonnement, de manière à rame­ner par des arguments ceux qui méprisent l’Évangile et les prophéties. » Partant de cette idée, il n’entreprend pas moins que de prouver tous les dogmes du christianisme à la manière des géomètres. Il pose des axiomes, donne des défi­nitions, énonce des théorèmes qu’il démontre, tire des corollaires qui servent de base à des démonstrations nouvelles, et ne s’arrête qu’après avoir parcouru tout le symbole, depuis l’existence de Dieu jusqu’à la vie future et la résurrection des corps. C’est précisément, comme on voit, le procède suivi par Spinoza ; mais au xiiie siècle application d’une pareille méthode à la théolo­gie est un fait singulièrement curieux, et qui fait peut-être mieux comprendre que tout autre les tendances nouvelles des esprits. L’ouvrage, du reste, ne renferme aucune autre idée originale. — Les œuvres d’Alain ont été réunies par Charles de Wisch, in-f°, Anvers, 1653 ; mais cette édition ne comprend pas le traité de Arte fidei. qui ne se trouve que dans le Thesaurus anecaotorum de Pcze, t. I, p. 11. Legrand d’Aussy a publié dans le tome V de l’ouvrage intitulé : Notice et Extraits des manuscrits, la notice d’une traduction fran­çaise inédite de l’Anti-Claudianus. On peut aussi consulter Jourdain ; Rech. sur l’âge et l’orig. des trad. latines d’Aristote, in-8, Paris, 1843, p. 278 et suiv., et un article étendu de l’Histoire litté­raire de France, t. XIV.C. J.


ALBÉRIC, de Reims, docteur scolastique, dis­ciple d’Anselme de Laon, enseigna avec succès dans les écoles de Reims, déféra en 1121 les opi­nions d’Abailard au concile de Soissons, qui les condamna, devint évêque de Bourges en 1136, as­sista en 1139 au concile de Latran, et mourut en 1141. Plus profond que méthodique, suivant un contemporain (voy. Martenne ; Thesaurus anecdotorum, t. III, p. 1712), plus éloquent que subtil, il était diffus aans ses leçons, et manquait d’art pour résoudre les questions captieuses que ses dis­ciples affectaient de lui poser. Quelques historiens le considèrent comme l’auteur d’un parti qui, au témoignage de Geoffroy de Saint-Victor (Lebœuf. Dissert, sur l’hist. de Paris, t. II, p. 256), se forma dans le réalisme sous le nom d’Albéricains. Mais il est plus probable que le chef de ce parti fut Albéric de Paris, que Jean de Salisbury appelle nominalis sectae acerrimus impugnator (Metalogicus, lib. II, c. x), et que Brucker et quelques autres confondent avec Albéric de Reims. On ne possède d’Albéric qu’une lettre insignifiante sur le mariage, publiée par Martenne (Amplissima collectio, t. I). Consult. Histoire littéraire de France, t. XII.


ALBERT le Grand (Albertus Teutonicus, fra­ter Albertus de Colonia, Albertus Ralisboniensis, Albertus Grotus), de la famille des comtes de Bollstadt, né en 1193, selon les uns, en 1205, se­lon les autres, à Lavingen, ville dé Souabe, fré­quenta les écoles de Padoue. Esprit laborieux et infatigable, il puisa de bonne heure, dans la lec­ture assidue d’Aristote et des philosophes arabes, une vaste érudition qui le rendit promptement célèbre. Vers 1222, il entra dans l’ordre des Do­minicains, où la confiance de ses supérieurs l’ap­pela bientôt à professer la théologie. Tour à tour il enseigna avec un succès prodigieux à Hildesheim, Fribourg, Ratisbonne, Strasbourg, Cologne, et, en 1245, vint à Paris, accompagné de S. Tho­mas d’Aquin. son disciple. Après avoir séjourné dans cette ville environ trois ans, il retourna en Allemagne vers 1248, fut élu en 1254 provincial de l’ordre de Saint-Dominique, et élevé, en 1260, au siège de Ratisbonne. Mais les fonctions de l’épiscopat, en le mêlant aux affaires publiques, et en le forçant de renoncer à la culture des scien­ces et de la philosophie, devaient contrarier ses habitudes et ses goûts. Aussi, au bout de quel­que temps, les résigna-t-il entre les mains du pape Urbain IV, et se retira-t-il dans un couvent de Cologne, pour s’y livrer tout entier à l’étude, à la prédication et à des exercices de piété. Ce­pendant sa soumission au saint-siége et son zèle pour la religion l’arrachèrent encore à sa solitude. En 1270, il prêcha la croisade en Autriche et en Bohême ; peut-être a-t-il assisté à un concile tenu à Lyon en 1274, et des historiens assurent qu’en 1277, malgré son grand âge, il entreprit le voyage de Paris pour venir défendre la doctrine de S. Thomas, qui y était vivement attaquée. Il mourut en 1280.

Albert le Grand est sans contredit l’écrivain le plus fécond et le savant le plus universel que le moyen âge ait produit. La liste de ses ouvrages ne remplit pas moins de douze pages in-folio de la