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DUAL
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le même principe que les droits naturels. Chaque nation doit veiller à sa propre défense, à la conservation de son indépendance et de sa dignité, sans attenter à la dignité et à l’indépendance des autres. Quand la guerre est le seul moyen de se faire respecter ou d’obtenir justice, la guerre est de droit : mais il ne faut pas oublier qu’au sein même de ce fléau il y a des règles de justice, de bonne foi, d’humanité qu’un peuple ne peut pas méconnaître sans se couvrir d’infamie.

Tous ces droits, quand on les embrasse dans leur ensemble et qu’on cherche leur origine, non dans une législation établie, dans la tradition ou dans la coutume, mais dans la nature même de l’homme, sont l’objet d’une science particulière, le droit naturel, qu’il ne faut confondre ni avec la morale ni avec le droit positif. La morale est la science de nos devoirs, et, quoique nos devoirs soient le fondement unique de nos droits, ces deux choses peuvent cependant être étudiées séparément. D’ailleurs la morale ne s’adresse qu’à la conscience et à la liberté des individus : le droit naturel fournit aussi des règles pour les sociétés et pour les nations, et ces règles, il est nécessaire de les faire respecter par la force. Quant au droit positif, il est la science des lois émanées de la volonté des législateurs, sans aucun égard pour leur valeur philosophique. Cependant l’histoire du droit positif est une partie de l’histoire de l’esprit humain ; elle nous montre comment les sociétés se sont établies et organisées ; comment les idées d’équité, de justice et d’humanité ont triomphé peu à peu de la force ; comment le droit naturel, c’est-à-dire la raison, a détrôné la coutume, la routine, l’arbitraire, les préjugés de religion et de caste, pour introduire à leur place ces deux admirables conquêtes de l’esprit moderne : la séparation de l’ordre civil et de l’ordre religieux ; l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Les premiers essais de droit naturel sont la Politique d’Aristote, la République et les Lois de Platon, le de Officiis et le de Legibus de Cicéron. Le moyen âge n’avait aucune idée de cette science. Elle n’a commencé à être connue sous son véritable nom et à être comprise dans toute son importance, que lorsque Hugo Grotius eut publié, dans les premières années du xvii e siècle (en 1625), son fameux traité du droit de la paix et de la guerre : de Jure belli et pacis. Après Grotius, ceux qui ont rendu le plus de services à la science du droit naturel sont : Pufendorf, par son traité du Droit de la nature et des gens et ses Devoirs de l’homme et du citoyen ; Leibniz, qui a laissé dans toutes les sciences des traces de son génie ; Vico, par ses écrits sur le droit en général et par son ouvrage de Uno universi juris principio et fine uno ; Burlamaqui, par ses divers écrits sur le droit naturel et le droit politique ; enfin, le droit naturel, une fois considèré comme une science et comme une branche importante de la philosophie, a produit des ouvrages sans nombre, qu’il serait impossible d’énumérer ici. Nous dirons seulement que les représentants les plus illustres de la philosophie allemande, Kant, Fichte, Hegel, ont aussi écrit sur le même sujet. Nous renvoyons le lecteur aux articles qui leur sont consacrés. Quant au Cours de droit naturel de M. Jouffroy, interrompu par la mort de l’auteur, il ne contient malheureusement que les prolégomènes de cette science.

DUALISME (de duo, deux). On appelle ainsi la croyance que l’univers a été formé et continue d’exister par le concours de deux principes également nécessaires, également éternels et, par


conséquent, indépendants l’un de l’autre. Cette manière de concevoir les choses, si complètement discréditée aujourd’hui, occupe une très-grande place dans l’histoire de l’esprit humain, où elle s’est montrée à plusieurs reprises et sous des formes très-diverses. Elle a d’abord pris naissance et s’est développée en Orient au nom de la religion ; elle a été accueillie ensuite au nom de la raison, et avec un caractère exclusivement métaphysique, par la plupart des philosophes de la Grèce ; enfin on la rencontre de nouveau, sous une forme religieuse, dans l’histoire du gnosticisme et des hérésies du moyen âge.

Le dualisme religieux, s’appuyant uniquement sur l’imagination, et n’envisageant le monde que dans ses rapports avec la sensibilité humaine, admet comme principes de l’univers deux natures également actives et intelligentes, deux dieux, personnels et libres, dont l’un est l’auteur du bien et l’autre celui du mal. On regarde communément la religion de Zoroastre comme l’expression la plus complète de ce système ; mais cette opinion n’est pas tout à fait fondée. Ormuzd et Ahrimane représentent certainement le bon et le mauvais génie, la puissance du bien ou de la lumière, et la puissance des ténèbres ou du mal ; mais ils ne sont pas les vrais principes de l’univers. Au-dessus d’eux est le temps sans bornes, Zerwane-Akérène, qui les a tirés l’un et l’autre de son sein ; et d’ailleurs le bon génie doit finir par l’emporter sur le mauvais ; Ormuzd triomphera d’Ahrimane, qui lui-même fut d’abord un esprit de lumière, et le monde régénéré jouira d’une félicité, sera revêtu d’un éclat inaltérables. Le dualisme, dans toute sa nudité, n’a été admis que par les Magusiens, une secte particulière de la religion des mages, dont elle défigurait les principes. C’est là que Bardesane et Manès furent les chercher pour les répandre, en les mêlant à des idées d’un autre ordre, au nom même du christianisme. Encore faut-il remarquer que, dans la pensée de ces deux célèbres hérésiarques, les deux principes, quoique tout à fait indépendants l’un de l’autre, ne sont point placés sur le même rang. Satan, le roi éternel de la matière, qui remplace ici Ahrimane, est beaucoup moins puissant par l’intelligence et la force que le père inconnu ou le Dieu bon, le roi du Plerôme (voy. Gnosticisme et Perses).

Le dualisme philosophique a pour but d’expliquer, non pas l’origine du mal dans l’univers, mais l’origine et la nature de l’univers lui-même, dans lequel l’universel et l’invisible, c’est-à-dire l’unité, l’ordre, l’intelligence et la vie, se décèlent sans cesse au milieu du visible et du contingent sous les formes grossières et fugitives qui affectent nos sens. De ce point de vue à celui qui nous a occupés d’abord, il y a toute la distance de l’imagination à la réflexion. de la mythologie à la métaphysique. Aussi les deux principes reconnus par les philosophes ne sont-ils plus deux personnes morales, deux êtres pourvus des mêmes facultés, quoique opposés dans l’usage qu’ils en font ; mais deux essences tellement différentes, que l’une est précisément la négation de l’autre : nous voulons parler de, la matière et de l’esprit ; de la matière première, destituée de toute forme, de toute vertu, de toute qualité positive, et de l’esprit, ou plutôt de l’intelligence infinie, contenant en elle, dans leur état le plus pur, toutes les formes possibles, source unique de l’ordre, de la force efficace et de la vie. Sans doute il serait difficile de dire ce qu’il y a de réel dans la matière ainsi comprise : il n’en est pas moins vrai que la plupart