l’être. Le principe de d’Alembert est un bien bel exemple philosophique d’une telle réduction.
Dans le cours de ses recherches sur divers points du système du monde et sur la mécanique, d’Alembert a dû s’occuper beaucoup du calcul intégral, c’est-à-dire de l’instrument sans lequel il aurait fallu renoncer à traiter ces questions épineuses. En 1747, il faisait paraître dans les mémoires de Berlin ses premières recherches sur les cordes vibrantes, qui sont le point de départ de l’intégration des équations aux différences partielles, ou de la branche de l’analyse à laquelle se sont rattachées depuis presque toutes les applications du calcul à la physique proprement dite. D’Alembert eut avec Euler une discussion célèbre sur un point capital de doctrine, sur la question de savoir si les fonctions indéterminées, ou, comme disent les géomètres, les fonctions arbitraires qui entrent dans les intégrales des équations aux différences partielles, peuvent représenter des fonctions non soumises à la loi de continuité. Tous les principaux géomètres du dernier siècle ont pris part à cette controverse, qui se résout tout simplement, et, il faut l’avouer, contre les idées de d’Alembert, lorsqu’on définit avec précision les diverses solutions de continuité, et lorsqu’on se place dans l’ordre d’abstraction qui caractérise la théorie des fonctions et la distingue essentiellement des autres branches des mathématiques. Mais l’esprit humain a toujours plus de peine à bien fixer la valeur des notions fondamentales sur lesquelles il opère, qu’à les faire entrer dans des constructions compliquées et savantes.
Fondateur de l’Encyclopédie, d’Alembert s’était chargé, dans cette grande compilation, des principaux articles de mathématiques pures et même appliquées. Ces articles forment encore le fond du Dictionnaire de Mathématiques de l’Encyclopédie dite méthodique. Tous les points importants de la philosophie des mathématiques, ceux qui se rattachent aux notions des quantités négatives, de l’infiniment petit, des forces, s’y trouvent traités de la main de d’Alembert, dont les articles doivent être lus par tous ceux qui s’occupent de ces matières. Sans exagérer, comme Condillac l’a fait, le rôle du langage, d’Alembert se montre enclin aux solutions purement logiques, à celles qui s’appuient sur des définitions et des institutions conventionnelles. Il n’apprécie pas assez la valeur des idées abstraites indépendamment des procédés organiques par lesquels l’esprit humain s’en met en possession, les élabore et les transmet : mais, pour justifier cette assertion générale, il faudrait entrer dans une critique détaillée, que la spécialité de ce Dictionnaire ne comporte pas. C… t.
L’édition la plus complète des œuvres de d’Alembert est celle de Belin, 5 vol. in-8, Paris, 1821-22. Consultez un Mémoire de M. Damiron sur d’Alembert, dans le tome XXVII du Compte rendu des séances de l’Académie des sciences morales et politiques.
ALEXANDRE d’Aphrodise ou plutôt d’Aphrodisias (Alexander Aphrodisiæus), ainsi appelé d’une ville de Carie, son lieu de naissance. Il florissait à la fin du iie et au commencement du iiie siècle de l’ère chrétienne, sous le règne des empereurs Sévère et Caracalla, de qui il tenait la mission d’enseigner la philosophie péripatéticienne. Mais on ne sait s’il remplissait cette fonction à Athènes ou à Alexandrie. Disciple d’Herminus et d’Aristoclès, il surpassa de beaucoup ses maîtres, tant par les qualités naturelles de son esprit que par son érudition et le nombre de ses ouvrages. C’est le plus célèbre de tous les commentateurs d’Aristote, celui qui passe pour avoir le mieux compris et développé avec le plus de talent les doctrines du maître. Aussi tous ceux de son école qui sont venus après lui l’appellent-ils simplement le Commentateur (τὸν ἐξηγητὴν), comme Aristote lui-même pendant tout le moyen âge, était nommé le Philosophe. Nous ajouterons que cette distinction, sauf l’enthousiasme qui s’y joignait, n’est pas tout à fait sans fondement, et les commentaires d’Alexandre d’Aphrodise seront toujours consultés avec fruit par celui qui voudra lire dans l’original les œuvres du Stagirite. Il n’y a pas jusqu’aux digressions qui s’y mêlent, qui ne soient souvent d’une grande utilité pour l’histoire de la philosophie, et ne témoignent d’un jugement ferme appuyé d’une vaste érudition. Cependant il ne faudrait pas regarder seulement Alexandre d’Aphrodise comme un commentateur ; il a aussi écrit en son propre nom deux ouvrages philosophiques : de la Nature de l’âme et de la Fatalité et de la Liberté. Dans le premier, il cherche à prouver que l’àme n’est pas une véritable substance, mais une simple forme de l’organisme et de la vie (εἶδος τι τοῦ σώματος ὀργανικοῦ), une forme matérialisée (εἶδος ἔνυλον) qui ne peut avoir aucune existence réelle sans le corps. Le second, consacré tout entier à la réfutation du fatalisme stoïcien, n’est guère que le développement plus ou moins étendu des arguments suivants : 1o Dans l’hypothèse stoïcienne, toutes choses seraient soumises exclusivement à des lois générales et inflexibles, car toutes elles ne forment qu’une même chaîne dont chaque anneau est inséparable des autres : or il n’en est point ainsi ; l’expérience nous apprend qu’il y a des faits abandonnés à la liberté individuelle, sans laquelle nous ne pouvons concevoir la raison. En effet, à quoi nous servirait la faculté de raisonner et de réfléchir, si nous ne pouvions pas agir conformément au résultat de nos propres délibérations ? Mais ce caractère de nécessité absolue, que le stoïcisme aperçoit partout, n’existe pas davantage dans les lois générales, c’est-à-dire dans les lois de la nature ; car la nature aussi bien que l’individu s’écarte plus d’une fois de son but : elle a ses exceptions et ses monstres, ce qui ne pourrait avoir lieu si elle était gouvernée par des lois inflexibles. 2o Le fatalisme est incompatible avec toute idée de moralité. L’homme n’étant pas maître de ses résolutions, il n’a aucune responsabilité, il ne mérite ni châtiment, ni récompense, il ne peut être ni vertueux ni criminel. 3° Avec la doctrine de la nécessité absolue, il n’y a plus de Providence, partant plus de crainte ni de respect de la Divinité. En effet, si tout est réglé à l’avance d’une manière irrévocable, comment les dieux seraient-ils bons, comment seraient-ils justes, comment pourraient-ils distribuer les biens et les maux suivant le mérite de chacun ? Ce qui est un effet de l’inflexible destin ne peut être regardé ni comme un bienfait, ni comme une punition, ni comme une récompense. Si Alexandre, trouvant sur son chemin l’incompatibilité apparente de la liberté humaine et de la prescience divine, n’hésite pas un instant à sacrifier la prescience, qui lui paraît une chose aussi inconcevable qu’un carré ayant sa diagonale égale à l’un de ses côtés, il n’est malheureusement pas plus irréprochable quand, après l’avoir défendue contre le fatalisme, il essaye de définir la divine Providence : ainsi que son maître, il la confond avec les lois générales de la nature.
Les deux écrits, dont nous venons de signaler au moins le but général, furent publiés ensemble avec les œuvres de Thémistius, à Venise, en 1534 (in-4), par les soins de Trincavellus. Le traité de la Fatalité et de la Liberté a été deux fois traduit en