Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/80

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une analyse complète : c’est là un idéal que les savants et les philosophes ne doivent jamais perdre de vue.

Parcourons rapidement les autres opérations de l’esprit et les procédés de la science, qui pré­sentent le caractère d’une décomposition ou d’une composition ; et qui, pour ce motif, ont reçu le nom d’analyse ou de synthèse.

D’abord, pour étudier un objet, l’esprit humain est obligé de le décomposer, non-seulement dans ses éléments et ses parties intégrantes, mais aussi dans ses qualités ou propriétés ; de l’observer sous ses divers points de vue. Or cette décom­position qui s’opère, non plus sur des parties réelles, mais sur des propriétés auxquelles nous prêtons une existence indépendante, est l’ab­straction. L’abstraction est donc une analyse^ puisqu’elle est une décomposition ; mais ce qui la distingue de l’analyse proprement dite, c’est qu’elle s’exerce sur des qualités qui, prises en elles-mêmes, n’ont pas d’existence réelle. Après l’abstraction vient la classification. Classer, c’est réunir ; par conséquent, toute classification est une synthèse ; mais pour former une classification, on peut suivre deux procédés. Si dans la consi­dération des objets, on fait d’abord abstraction des différences pour s’arrêter à une propriété géné­rale, on pourra ainsi réunir tous ces objets dans un même genre ; ensuite, à côté de ce caractère commun à tous, si on remarque une qualité par­ticulière à quelques individus, on établira dans le genre des espèces, et on descendra jusqu’aux individus eux-mêmes. Or il est clair qu’en pro­cédant ainsi, on va non-seulement du général au particulier, mais du simple au composé ; puisqu’à mesure que l’on avance, de nouvelles qualités s’ajoutent aux premières. Ainsi, quoique l’analyse intervienne pour distinguer les qualités, le pro­cédé général qui sert a former la classification, est synthétique. Si, au contraire, on commence par observer les individus dans l’ensemble de leurs propriétés, et que l’on rapproche ceux qui offrent le plus grand nombre de qualités sem­blables, on créera d’abord des espèces ; puis, fai­sant abstraction de ces qualités qui distinguent les espèces, pour ne considérer que leurs pro­priétés communes, on établira des genres ; des genres, on s’élèvera à des classes plus générales encore. Il est évident que dans cette méthode, qui est l’inverse de la précédente, si la synthèse intervient pour réunir et coordonner les indi­vidus, les espèces et les genres, on procède non— seulement du particulier au général, mais du composé au simple, et du concret à l’abstrait. L’opération fondamentale est dans l’analyse. La méthode analytique sert à former les classifi­cations naturelles ; et la méthode synthétique les dassifi ations artificielles (voy. Classification). Les mots analyse et synthèse s’emploient aussi quelquefois pour désigner l'induction et la dé­duction. D’abord toute induction légitime repose sur l’observation et l’analyse, en particulier sur l’expérimentation. Or, l’expérimentation qui. en répétant et variant les expériences, écarte d’un fait les circonstances accessoires et accidentelles, pour saisir son caractère constant et dégager sa loi, est une véritable analyse. Enfin^ si l’induction elle-même, étendant ce caractère a tous les indi­vidus, les groupe et les réunit dans un seul prin­cipe, ce principe est abstrait et représente une idée à la fois générale et simple. Le procédé qui sert à le former est donc une analyse. D’un autre côtéj la déduction qui revient du général au particulier, du genre aux espèces et aux indi­vidus, est une opération synthétique. Il en est ici des idées nécessaires’et des vérités de la rai­son, comme des principes qui sont dus à l’expé­rience. Le principe qui dégage l’abstrait du concret, l’idée générale des notions particulières, est toujours l’abstraction et l’analyse ; ainsi l’in­duction de Socrate et la dialectique de Platon ont été appelées à juste titre une méthode d’a­nalyse. La manière de procéder d’Aristote et de Kant, par rapport aux idées de la raison, offre l’emploi successif des deux méthodes. Aristote et Kant séparent les notions pures de l’enten­dement et de la raison de tout élément empirique et sensible ; ils les distinguent, les énumèrent et en dressent la liste : c’est un travail d’analyse ; puis ils les rangent dans l’ordre déterminé par les rapports qui les unissent : ils en forment la synthèse. Si l’on admet avec des philosophes plus récents que toutes ces idées rentrent dans un principe unique, et ne sont que les formes de son développement progressif, cette méthode sera synthétique ; mais elle suppose une analyse an­térieure, sans quoi le système repose sur une base hypothétique.

Dans la démonstration qui se compose d’une suite de raisonnements, on retrouve les deux procédés fondamentaux de l’esprit humain. Aussi les logiciens distinguent deux sortes de démons­tration : l’une analytique, l’autre synthétique. Si l’on veut traiter une question par le raisonne­ment, on peut suivre, en effet, deux marches différentes. La première consiste à partir de l’é­noncé du problème, analyser les idées renfer­mées dans les termes de la proposition qui la formule, et à remonter ainsi jusqu’à une vérité générale qui démontre a vérité ou la fausseté de l’hypothèse. Dans ce cas, on décompose une idée complexe qui constitué la question même, et on la met en rapport avec une vérité simple, évidente d’elle-même ou antérieurement démon­trée ; on procède alors du composé au simple et on suit une marche analytique. Cette méthode est en particulier celle qu’on emploie en algèbre. Mais on peut suivre un procédé tout opposé ; prendre pour point de départ une vérité géné­rale, déduire les conséquences qu’elle renferme et arriver ainsi à une conséquence finale qui est la solution du problème. Ici, on va du général au particulier, du simple au composé ; la mé­thode est synthétique. Cette méthode est celle dont se servent habituellement les géomètres ; elle constitue la démonstration géométrique. Il est évident que dans les deux cas, le raisonne­ment consiste toujours à mettre en rapport deux propositions, l’une générale, l’autre par­ticulière, au moyen de propositions intermé­diaires ; ‘ mais le point de départ est diffé­rent : dans le premier cas, on part de la ques­tion pour remonter au principe ; dans le second, du principe pour aboutir à la question. Condillac a donc eu tort de dire (Logique, Ve partie, ch. vi) que puisque ces deux méthodes sont contraires, l’une doit être bonne et l’autre mauvaise ; et M. de Gérando fait judicieusement observer que la comparaison qu’il emploie à ce sujet est inexacte. « On ne peut aller, dit Condillac, que du connu à l’inconnu ; or, si l’inconnu est sur la montagne, ce ne sera pas en descendant qu’on y arrivera ; s’il est dans la vallée, ce ne sera pas en montant : il ne peut donc y avoir deux che­mins contraires pour y arriver. — Mais Condillac n’observe pas qu’il y a ou qu’il peut y avoir pour nous dans une question deux espèces de connues… Il y a une connue au sommet de la montagne, c’est l’énoncé du problème, et il y a aussi une connue au fond de la vallée, c’est un principe antérieur au problème et déjà reconnu par notre esprit. Ce qu’il y a d’inconnu, c’est la situation respective de ces deux points que sé­pare une plus ou moins grande distance. L’art du