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Peu de questions nécessitent davantage d’être prises en main par des philosophes spécialistes d’éthique et de philosophie politique, dans le but d’établir une règle ou un critère à l’aune duquel le caractère justifiable ou non d’une intervention dans les affaires d’un autre pays et (ce qui est parfois tout aussi contestable) le caractère justifiable ou non d’une absence d’intervention pourraient être soumis à un test défini et rationnel. Quiconque s’attèle à cette tâche sera amené à reconnaître plus d’une distinction fondamentale, avec lesquelles pour l’instant le public est fort peu familier, et qui sont généralement perdues de vue par ceux qui écrivent avec des accents de moralité outragée sur ce sujet. Il y a une grande différence (par exemple) entre le cas où les nations concernées sont du même ou à peu près du même niveau de civilisation, et celui où l’une des parties de la situation est d’un haut niveau tandis que l’autre est d’un bas niveau de progrès social. Supposer que les mêmes coutumes internationales et les mêmes règles de moralité internationale peuvent avoir cours entre deux nations civilisées et entre des nations civilisées et barbares, est une grave erreur, qu’aucun homme d’État ne saurait commettre, quoi qu’il en soit de ceux qui critique les hommes d’État depuis une position sans danger et irresponsable. Parmi les multiples raisons pour lesquelles les mêmes règles ne sauraient être applicables à des situations aussi différentes, les deux suivantes sont parmi les plus importantes. Premièrement, les règles de la moralité internationale impliquent la réciprocité. Mais les barbares ne répondront pas à cette attente de réciprocité. On ne peut pas attendre d’eux qu’ils observent des règles. Ni leur esprit n’est capable d’un si grand effort, ni leur volonté ne peut être suffisamment influencée par des motifs distants. Deuxièmement, les nations qui sont encore barbares n’ont pas dépassé la période durant laquelle il est probablement dans leur intérêt d’être conquises et soumises par des étrangers. L’indépendance et la nationalité, si essentiels soient-elles à la bonne croissance et au bon développement des peuples plus avancés dans la voie du progrès, constituent généralement des obstacles aux leurs. Les obligations sacrées que les nations civilisées doivent à leurs indépendances et nationalités réciproques ne sont pas contraignantes vis à vis de ceux pour qui la nationalité et l’indépendance constituent un mal certain, ou au mieux un bénéfice contestable. Les Romains n’étaient pas les conquérants aux mains les plus propres, mais aurait-il été préférable pour la Gaule et l’Espagne, pour la Numidie et la Dacie de ne jamais avoir fait partie de l’empire romain ? Qualifier toute conduite de quelque sorte soit-elle envers un peuple barbare de violation de la loi des nations ne fait qu’indiquer que celui qui parle ainsi n’a jamais réfléchi à la question. Une violation de grands principes de moralité, cela pourrait être facilement le cas ; mais les barbares n’ont pas de droits en tant que nation, sauf un droit à un traitement tel qui puisse le plus tôt possible les rendre aptes à en devenir une. Les seules lois morales qui régissent la relation entre un gouvernement civilisé et un gouvernement barbare sont les règles universelles de la moralité d’homme à homme.

Ainsi, les critiques qui sont si souvent émises sur la conduite des Français en Algérie, ou celle des Anglais en Inde, procèdent, semble-t-il, surtout d’un faux principe. La norme véridique avec laquelle il faille juger leurs actes n’ayant jamais été élaborée, ils échappent aux commentaires et aux blâmes qui pourraient avoir un effet réformateur réel, tandis qu’on les juge en rapport à des normes qui ne peuvent avoir aucune influence sur ceux qui sont engagés en pratique dans de telles transactions, sachant comme eux qu’elles ne peuvent et si elles le pouvaient ne devraient pas être appliquées, parce qu’aucun être humain ne s’en trouverait mieux, et au contraire s’en trouverait bien plus mal, si on les observait. Un gouvernement civilisé ne peut éviter d’avoir des voisins barbares : lorsqu’il en a, il ne peut se contenter d’une position défensive, de simple résistance à l’agression. Après une période plus ou moins longue de patience, il se trouve soit obligé de les conquérir, soit d’affirmer assez d’autorité sur eux, en brisant ainsi leur esprit, pour qu’ils régressent progressivement dans un état de dépendance vis à vis de lui, et lorsque cela arrive ils ne lui opposent effectivement plus de difficultés, mais il a eu tellement à faire pour faire et défaire leurs gouvernements, et ils se sont tellement accoutumés à s’appuyer sur lui, qu’il est devenu responsable moralement de tout