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LIVRE III.

Portingal[1], messire Dilg Arie son frère[2], Auge Silvasse de Genève[3], Jean Sausalle[4], et bien eux vingt-cinq, desquels le royaume de Portingal à ce commencement fut grandement affoibli et le roi de Castille réjoui et renforcé.

« Si fit un commandement le roi de Castille par tout son royaume très grand et très espécial, que tous nobles et gens portant armes, entre quinze et soixante ans, vinssent au champ de Séville, car il vouloit de fait et de puissance entrer au royaume de Portingal, comme sur son propre héritage, et le conquerre. À son commandement obéirent, ce fut raison, tous ceux qui de lui tenoient ; et s’en vinrent au champ de Séville, et là s’assemblèrent et furent bien soixante mille hommes, que uns que autres.

« Quand messire Laurent de Congne, le chevalier de Portingal qui marié avoit été, et encore étoit, à dame Aliénor, que le roi Ferrant de Portingal avoit prise à femme et fait roine de Portingal, entendit que sa femme étoit venue hors de Portingal et traite en Castille, si se trait devers aucuns du conseil du roi de Castille dont il étoit moult bien, et leur demanda et dit, en soi conseillant à eux : « Mes seigneurs et grands amis, comment me pourrai-je chevir de Aliénor ma femme qui est issue de Portingal et venue en ce pays. Je sais bien que le roi Ferrant est mort, si comme vous savez ; par raison je dois ravoir ma femme, et la calengerai, si vous le me conseillez. » Ceux répondirent à qui il en parloit, et par lequel conseil il vouloit user, et lui dirent : « Jean, jà ne vous advienne que nul semblant vous fassiez du demander, ni ravoir, ni reprendre, car vous vous forferiez trop grandement, et abaisseriez la dame de son honneur, et aussi la roine de Castille, et la feriez plus que bâtarde. Vous savez que jà le roi de Castille veult demander et calenger, comme son propre héritage retournant à li, le royaume de Portingal, et clame ce droit de par sa femme. Vous éclairciriez ce qui est en trouble, et dont on ne se donne de garde ; vous vous mettriez à mort et jugeriez de vous-même, si vous faisiez la roine de Castille bâtarde ; car on soutient en ce pays la cause et la querelle que elle est de juste mariage et dispensée de pape. » — « Et quel chose est bon, dit le chevalier, que je en fasse. » — « Nous vous disons pour le meilleur, répondirent ceux qui le conseilloient, que du plutôt que vous pourrez, vous issiez hors de Castille, et vous retrayez sur votre héritage en Portingal, et laissiez madame Aliénor avecques sa fille ; nous n’y véons autre salvation pour vous. » — « Par ma foi ! dit le chevalier, je vous croirai, car vous me conseillez loyaument à mon avis. »

« Depuis ne séjourna en Castille messire Jean Laurent de Congne que trois jours ; et ordonna toutes ses besognes secrètement ; et se départit de Castille, et chevaucha au plutôt qu’il pot, et s’en vint à Lussebonne ; et là trouva le maître de Vis, et lui dit que il le venoit servir et se mettoit en son obéissance ; car il le tenoit bien à roi. Maître de Vis en ot grand’joie, et lui dit que il fût le bien-venu. Si lui rendit tout son héritage et le fit capitaine de Lussebonne. Ainsi, monseigneur, que je vous conte advint de celle besogne. »

CHAPITRE XXX.

Comment Laurentien Fougasse, ambassadeur envoyé de Portingal en Angleterre, raconta au duc de Lancastre la manière du discord qui étoit entre Castille et Portingal.


Moult prenoit le duc de Lancastre grand’plaisance à ouïr Laurentien Fougasse parler, car il parloit bien et attremprement et bon françois ; et pourtant que la matière dont il parloit lui touchoit, car il vouloit venir jusques au fond de ces besognes, si lui dit moult doucement : « Laurentien, parlez toujours avant : je ne vis ni ne ouïs homme étranger, passé a deux ans, parler, aussi volontiers comme je fais vous ; car vous allez toute la vérité avant ; et les lettres que le roi de Portingal m’a envoyées par vous en font bien mention que, de tout ce qui est avenu entre Castille et Portingal, vous me informeriez justement. » — « Monseigneur, répondit l’écuyer, peu de choses sont advenues, quant aux faits d’armes, entre Castille et Portingal, où je n’aie été, et dont je ne sache bien parler ; et puisqu’il vous plaît que je poursuive ma parole avant, je parlerai.

« Le roi Jean de Castille assembla ses gens au plutôt que il put, et s’en vint à grand’puissance devers Lussebonne, avant que le roi de Portin-

  1. Le prieur de l’hôpital Saint-Jean s’appelait D. Pedro Alvarez Pereyra.
  2. Diego Alvarez.
  3. Peut-être Alphonse Gomez da Silva.
  4. Peut-être Gonzalez de Sousa.