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LIVRE III.

et ferai reconduire, car votre requête n’est pas refusable. » — « Grands mercis, monseigneur, répondit l’écuyer, et je tiens la grâce à belle. »

L’écuyer se départit du Chastel-Josselin avecques messire Jean de Harleston et vint à Chierbourch. Quand messire Jean eut ordonné ses besognes, il se départit de Chierbourch et monta en un vaissel en mer, Jean Rollant en sa compagnie ; et vint en Angleterre et droit à Londres, et fit Jean Rollant mener au chastel où Jean de Bretagne étoit. Jean de Bretagne ne le connoissoit quand il vit, mais il se fit connoître et parlèrent ensemble ; et eut traité entre Jean de Bretagne et le connétable, que si Jean de Bretagne vouloit entendre à sa délivrance, le connétable y entendroit grandement. Jean qui se désiroit à voir délivré demanda comment : « Sire, dit-il, je le vous dirai ; monseigneur le connétable a une belle fille à marier. Là où vous voudriez jurer et promettre que, vous retourné en Bretagne, vous la prendrez à femme, il vous feroit délivrer d’Angleterre, car il a jà trouvé le moyen comment. » Jean de Bretagne répondit : « Ouil vraiment. Vous retourné par delà, dites au connétable que il n’est chose que je ne doive faire pour ma délivrance, et que sa fille je prendrai et épouserai très volontiers. »

Jean de Bretagne et l’écuyer eurent plusieurs paroles ensemble ; et puis se départit d’Angleterre l’écuyer, et lui fit avoir passage messire Jean de Harleston ; et retourna en Bretagne, et recorda au connétable tout ce que il avoit trouvé et fait. Le connétable, qui désiroit l’avancement de sa fille à être mariée si hautement que à Jean de Bretagne, ne fut pas négligent de besogner et exploiter, et quist un moyen en Angleterre pour adresser à ses besognes ; car sans le moyen au voir qu’il prit il n’y fût jamais venu ; ce fut le comte d’Asquesuffort, lequel étoit tout privé du roi d’Angleterre. Mais les besognes ne se firent pas si très tôt ; car tant que le duc de Lancastre fut en Angleterre, avant que il se départît pour aller en Galice ni en Portingal, il ne se découvrit au roi du traité de Jean de Bretagne ni de chose que il voulsist faire en celle matière. Car quand le comte de Bouquinghen fut retourné arrière en Angleterre, il troubla tellement le duc de Bretagne envers le roi et ses frères que renommée couroit en Angleterre que le duc de Bretagne s’étoit faussement acquitté envers leurs gens, pourquoi on lui vouloit tout le mal du monde ; et fut Jean de Bretagne amené en la présence du roi et de ses oncles et du conseil d’Angleterre, et lui fut dit : « Jean, si vous voulez relever le duché de Bretagne et tenir du roi d’Angleterre, vous serez délivré hors de prison et remis en la possession et seigneurie de Bretagne, et serez marié hautement en ce pays ; » si comme il eût été, car le duc de Lancastre lui vouloit donner sa fille Philippe, celle qui fut puis roine de Portingal. Jean de Bretagne répondit que jà ne feroit ce traité, ni seroit ennemi ni contraire à la couronne de France. Il prendroit bien à femme la fille du duc de Lancastre, mais que on le voulsit délivrer d’Angleterre. Or fut-il remis en prison.

Quand le comte d’Asquesuffort, que nous appellerons duc d’Irlande[1], vit que le duc de Lancastre étoit issu hors d’Angleterre et allé au voyage de Castille, et que le traité étoit passé et cassé, car il en avoit mené sa fille avecques lui, si s’avisa que il traiteroit envers le roi d’Angleterre dont il étoit si bien comme il vouloit ; que le roi d’Angleterre lui donneroit, en cause de rénumération, Jean de Bretagne pour les beaux services que il lui avoit faits et pouvoit encore faire ; car traité secret étoit entre le connétable de France et lui, et au cas que Jean de Bretagne seroit sien, il lui délivreroit à deux paiemens six vingt mille francs, soixante mille à chacun ; et auroit les soixante mille délivrés à Londres, si très tôt que Jean de Bretagne seroit mis en la ville de Boulogne sur mer, et les autres soixante mille en France en la cité de Paris ou en quelque lieu que il les voudroit avoir. Le duc d’Irlande convoita les florins, et fit tant devers le roi d’Angleterre que le roi lui donna, quittement et absolument, Jean de Bretagne, dont on fut moult émerveillé en Angleterre. Qui il en voulsit parler si en parla, mais on n’en eut autre chose.

Le duc d’Irlande tint son convenant. Jean de Bretagne fut envoyé à Boulogne, et là trouva-t-il son arroy tout prêt que le connétable lui avoit fait appareiller. Si s’en vint en France, premièrement à Paris ; là trouva le roi et les

  1. Il fut nommé duc d’Irlande en 1386.