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LIVRE III.

douze fois le jour contre les murs grosses pierres, mais petit les empiroient, excepté les couvertures des tours qui furent rompues et désemparées ; mais les compagnons de dedans n’en faisoient compte, car les étages qui étoient près des couvertures étoient de fortes pierres, qui ne pouvoient effondrer pour jet de pierre, d’engin ni d’espringalle.

Quand on vit que on ne les auroit point et que on se commença à tanner, on eut conseil que on se délogeroit et que on entreroit en Galice et que on approcheroit l’ost du duc de Lancastre ; parquoi si ses gens venoient on seroit plus fort ; et aussi le roi et le duc auroient conseil comment ils se maintiendroient ni comment ils iroient, ni quelle part ils iroient. Si se délogèrent un jour ; et troussèrent tout et mirent à voiture ; et se départirent de Saint-Yrain ; mais à leur département la ville fut si nettement arse que il ne demoura oncques pour establer[1] ni loger un cheval.

Quand ceux des châteaux virent que on les laissoit, si en furent tous réjouis et commencèrent à sonner leurs trompettes et à faire grand ébattement, et convoyèrent l’ost de tel envoi tant que tous les derniers furent passés ; et quand ils ne les virent plus ils se cessèrent ; et l’ost s’en alla ce jour loger à Pont-Ferrant en Galice, et à lendemain au Pont de Sainte Catherine, et au tiers jour ils vinrent devant le Férole en Galice, une ville assez forte qui se tenoit pour le roi de Castille, et là s’arrêtèrent.

CHAPITRE LXX.

Comment le roi de Portingal et ses gens prinsirent la ville de Férol par assaut, et comment le roi de France fut défié du duc de Guerles.


Quand le roi de Portingal et ses gens furent venus de Portingal devant Férol, ils trouvèrent assez bon pays. Si l’environnèrent ; et dirent le connétable et le maréchal que ils la feroient assaillir et que elle étoit bien prenable. Ils furent là deux jours que oncques n’y livrèrent assaut, car ils cuidoient que sans assaillir ils se dussent rendre : mais non firent ; car il y avoit Bretons et Bourguignons qui disoient que ils se tiendroient bien.

Or furent au tiers jour ces engins dressés, et fit le maréchal sonner les trompettes pour assaillir ; donc s’ordonnèrent toutes gens et s’armèrent et approchèrent la ville.

Les compagnons qui dedans Férol étoient, quand ils ouïrent les trompettes de l’ost, eurent bien connoissance que ils auroient l’assaut. Si se appareillèrent et firent appareiller tous ceux de la ville défensables, et femmes aussi qui apportoient pierres et cailloux pour jeter contreval. Car sachez que en Galice les femmes y sont de grand’défense et de grand courage, aussi grand ou en partie comme sont les hommes. Là s’en vinrent tout bellement le pas les Portingalois jusques aux fossés, qui étoient roides et parfons, mais il n’y avoit point d’eau : si y entrèrent baudement et puis commencèrent à monter et à ramper contremont sans eux épargner. Mais ceux qui montoient avoient fort à faire, si ils n’étoient bien pavoisés ; car ceux qui se tenoient amont leur jetoient pierres et cailloux dont ils en blessèrent aucuns et les firent reculer, voulsissent ou non.

Là y avoit bon ébattement de ceux de dedans, qui jetoient dardes à ceux de dehors ; et ceux de dehors aussi, qui se tenoient sur les crêtes des fossés, lançoient à ceux de dedans ; ainsi dura l’assaut jusques à heure de tierce que le jour échauffa moult fort, et le soleil luisoit à raies et moult ardent. Et point n’avoient de vent ni d’air ceux qui étoient ens ès fossés ; et sembloit que ils ardissent : donc pour la grand’chaleur qu’il faisoit, et que il étoit apparant du faire, l’assaut cessa ; mais toujours jetoient les engins dedans la ville à l’aventure.

Adonc se retrairent Portingalois à leurs logis, et rafreschirent et mirent à point les blessés. Là fut conseillé le maréchal de Portingal que on n’assaudroit plus, hors par engins, car à l’assaillir il y avoit trop de peines et de coûtages de leurs gens, mais on iroit bien escarmoucher aux barrières, pour les compagnons ébattre et apprendre les armes. Si fut ainsi fait comme il fut ordonné ; et y avoit presque tous les jours escarmouche. Et vous dis que ceux de dedans, à la fois les soudoyers et les compagnons qui y étoient, s’enclooient hors de la porte entre les barrières et la porte pour escarmoucher mieux à leur aise. Donc il avint que le maréchal de Portingal, messire Alve Perrière, qui moult étoit

  1. Mettre en écurie. Ce mot s’est conservé en anglais, ainsi que bien d’autres mots qui ne sont plus d’usage en France, et dont on sent cependant tous les jours le besoin. M. Courier et M. Pougens ont fait de fort judicieuses remarques à ce sujet.