Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/604

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
598
[1387]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

usé d’armes, soubtilla sur celle affaire de l’escarmouche, et en parla à messire Jean Ferrant Percek et lui dit : « Je vois que ces soudoyers s’encloient à la fois entre la barrière et la porte tout en escarmouchant. Et si nous faisions une chose que je vous dirai, que nous presissions cinq ou six cens des nôtres bien montés et vous ou moi vinssions escarmoucher à un petit de gens de commencement à eux, et quand ils seroient dedans leur barrière nous reculissions petit à petit, je crois que, pour la convoitise de gagner, ils ouvriroient leur barrière, et lors nous sauldrions à la barrière et les ensonnerions nous ; et lors l’embûche, dont ils ne sauroient rien, venroit à course de chevaux sur eux. Quand ils verroient venir efforcément l’embûche, ils lairoient ester leur barrière et feroient ouvrir la porte. Voulsissent ou non, nous les enforcerions ; si que, avecques eux nous entrerions en la porte ; et si les Galiciens n’en ouvroient la porte, à tout le moins tous ceux qui seroient dehors seroient nôtres. » — « Il est vérité, répondit messire Jean Ferrant. Or prenez l’un et je prendrai l’autre. » Dit le maréchal : « Vous ferez l’embûche entre vous et Vasse Martin de Merlo et le Pouvasse de Coingne, et je irai à l’escarmouche, car c’est de mon office. »

Ce conseil fut tenu ; et furent ordonnés cinq cens hommes bien armés et bien montés pour aller en l’embûche ; et trois jours tout entiers on n’escarmoucha point, dont les soudoyers de dedans étoient tous émerveillés ; et disoient aux Galiciens de la ville : « Or regardez, méchans, gens, vous vous fussiez tantôt rendus, quand les Portingalois vinrent ici, si nous ne fussions. Nous vous gardons grandement l’honneur de votre ville, car le roi de Portingal et tout son ost se départiront de ci sans rien faire. »

Au quatrième jour que les Portingalois eurent séjourné, l’escarmouche, par l’ordonnance que je vous ai dit, fut faite. Et s’en vint le maréchal de l’ost atout un petit de gens escarmoucher, et la grande embûche demeura derrière.

Les Bretons qui désiroient à gagner quelque bon prisonnier, car jà en avoient-ils jusques à six, quand ils virent venir aux barrières les Portingalois, firent ouvrir leur porte et laissèrent sans fermer pour la trouver plus appareillée ; car point ils ne se confièrent trop avant ès Galiciens ; et aussi le guichet tout ouvert ; et vinrent aux barrières, et commencèrent à traire et à lancer, et à faire le droit d’armes et ce que escarmouche demande.

Le maréchal, quand il vit que ce fut heure, et ses compagnons, changèrent le pas et montrèrent que ils étoient trop travaillés et sur le point de être déconfits, et reculèrent petit à petit. Quand ces compagnons qui dedans étoient en virent la manière, si les cuidèrent bien tous prendre et attraper ; et ouvrirent leur barrière tout à une fois, et saillirent dehors, et se boutèrent en ces Portingalois, et en prirent et en retinrent jusques à vingt-cinq. Si que, en tirant et en sachant pour mettre dedans la ville à sauveté, ils s’ensonnièrent tellement que ils n’eurent loisir de refermer leurs barrières ; et aussi le maréchal qui attendoit le secours, derrière les ensuivoit ce qu’il pouvoit. Et véez-cy venir messire Jean Ferrant Percek, Vasse Martin de Merlo et le Pouvasse de Coingne à cinq cens chevaux ; et venoient plus que les gallops ; et se boutèrent tous à une fois sur la barrière et en furent seigneurs.

Quand les soudoyers bretons et françois virent ce, si se vouldrent recueillir dedans la ville ; mais ils ne purent, car aussitôt y entrèrent les Portingalois comme eux. Ainsi fut la ville prise et gagnée, et en y ot des morts, mais plenté ne fut ce pas. Les soudoyers qui là étoient en garnison furent pris, excepté dix ou douze qui se sauvèrent par une autre porte que ils firent ouvrir ; et prirent les champs, et s’en allèrent par devers Ville-Arpent en Castille, où messire Olivier du Glayaquin, et plus de mille lances de François se tenoient. Quand ils furent là venus, ils leur recordèrent comment la ville de Férol étoit perdue. Ainsi que je vous recorde advint de la ville de Férol en Galice ; les Portingalois la gagnèrent et la mirent en l’obéissance du duc de Lancastre, pour qui ils faisoient la guerre.

Le roi de Portugal en fut grandement réjoui de ce que ces gens avoient si bien exploité, et en envoya tantôt noncier les nouvelles au duc de Lancastre, en disant que il lui accroîtroit grandement son héritage, car il lui avoit jà pris une ville ; et se mettroit en peine, aussi feroient ses gens, de conquérir des autres. Le duc de Lancastre fut tout réjoui de ces nouvelles ; et étoit jà parti d’Aurench et s’en venoit devant Noye, où le Barrois des Barres et messire Jean de Chastel-Morant, messire Tristan de la Gaille et