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LIVRE III.

vérité, dit le chevalier, et je le vous dirai. » Lors commença messire Guillaume d’Ancenis à faire son conte.

« Au temps que le grand Charles de France régnoit qui fut si grand conquérant et qui tant augmenta la sainte chrétienté et la noble couronne de France, et fut empereur de Rome, roi de France et d’Allemagne, et gît à Aix-la-Chapelle, ce roi Charles, si comme on lit et trouve ès chroniques anciennes (car vous savez que toutes les connoissances de ce monde retournent par l’escripture, ni sur autres choses de vérité nous ne sommes fondés fors que par les escriptures approuvées), fut en Espaigne par plusieurs fois, et plus y demeura une fois que une autre : une fois entre les autres saisons il y demeura neuf ans, sans partir ni retourner en France, mais toujours conquérant avant. En ce temps avoit un roi mescréant qui s’appeloit Aquin, lequel étoit roi de Bugie et de Barbarie à l’opposite d’Espaigne ; car Espaigne mouvant de Saint-Jean du Pied des Ports est durement grande, car tout le royaume d’Arragon, de Navarre, de Biscaye, de Portingal, de Couimbre, de Lusseboune, de Sévilie, de Tollette, de Cordouan et de Lion sont encloses dedans Espaigne, et jadis conquit le grand roi Charlemaine toutes ces terres. En ce long séjour que il fit, ce roi Aquin, qui roi étoit de Bugie et de Barbarie, assembla ses gens et s’en vint par mer en Bretagne et arriva au port de Vennes, et avoit amené sa femme et ses enfans ; et s’amassa là au pays, et ses gens s’y amassèrent, en conquérant toujours avant. Bien étoit le roi Charles informé de ce roi Aquin qui se tenoit en Bretagne ; mais il ne vouloit pas pour ce rompre ni briser son voyage ni son emprise et disoit : « Laissez-le amasser en Bretagne ; ce nous sera petit de chose à délivrer le pays de lui et de ses gens, quand nous aurons acquitté les terres de deçà et mis à la foi chrétienne. »

« Ce roi Aquin, sus la mer et assez près de Vennes, fit faire une tour moult belle que on appeloit le Glay ; et là se tenoit ce roi Aquin trop volontiers. Advint que quand le roi Charles eut accompli son voyage et acquitté Galice et Espaigne, et toutes les terres encloses des deux lez Espaigne, et mort les rois Sarrasins, et bouté hors les mescréans et toute la terre tournée à la foi chrétienne, il s’en retourna en Bretagne, et mit sus, et livra un jour une grosse bataille contre le roi Aquin ; et y furent morts et déconfits tous les Sarrasins ou en partie qui là étoient ; et convint ce roi Aquin fuir. Et avoit sa navie toute prête au pied de la tour du Glay. Il entra dedans et sa femme et ses enfans ; mais ils furent si hâtés des François qui chassoient les fuyans, que Aquin et sa femme n’eurent loisir de prendre un petit-fils qu’ils avoient, environ d’un an, qui dormoit en celle tour du Glay, et l’oublièrent ; et équipèrent en mer et se sauvèrent ce roi, sa femme et ses enfans.

« Si fut trouvé en la tour du Glay cet enfant, et fut apporté au roi Charlemaine, qui en eut grand’joie et voulst que il fût baptisé ; si le fut ; et le tinrent sur les fonts Roland et Olivier ; et eut nom celui enfant Olivier ; et lui donna l’empereur bons mainbourgs pour le garder et toutes les terres que son père avoit conquises en Bretagne ; et fut cet enfant, quand il vint en âge d’homme, bon chevalier et vaillant, et l’appeloient les gens Olivier du Glay-Aquin, pourtant que il avoit été trouvé dans la tour du Glay et qu’il avoit été fils du roi Aquin. Or vous ai-je dit la première fondation et venue de messire Bertran de Cïayquin que nous dussions dire du Glay-Aquin. Et vous dis que messire Bertran disoit, quand il eut bouté hors le roi Dam Piètre du royaume de Castille et couronné le roi Henry, que il s’en vouloit aller au royaume de Bugie, il n’y avoit que la mer à traverser ; et disoit que il vouloit raquérir son héritage. Et l’eût sans faute fait ; car le roi Henry lui vouloit prêter gens assez et navie pour aller en Bugie ; et s’en douta le roi de Bugie grandement ; mais un empêchement lui vint qui lui rompit et brisa tout. Ce fut le prince de Galles qui guerroya le roi Henry, et il ramena le roi Dam Piètre, et le remit par puissance en Castille. Adonc fut pris à la grande bataille de Nazre messire Bertran de messire Jean Chandos, qui le rançonna à cent mille francs, et aussi une autre fois il l’avoit de la prise du roi rançonné à cent mille francs. Si se dérompirent les propos de messire Bertran, car la guerre de France et d’Angleterre renouvela. Si fut si ensoigné que il ne put ailleurs entendre ; mais pour ce ne demeure mie que il ne soit issu du droit estoc du roi Aquin, qui fut roi de Bugie et de Barbarie.

« Or vous ai-je conté l’extrasse de messire