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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ment les capitaines et leurs routes en la ville ; et tout premier, sans entrer en nulle maison, pour savoir et ouïr si nuls ne se reveilleroient, ni mettoient ensemble pour faire défense, ils allèrent au long de la ville, et la cerchèrent toute. Oncques n’y trouvèrent hommes qui se missent en défense : si ce ne furent aucuns, qui étoient venus et retraits devers le chastel, et cuidoîent entrer dedans. Ceux se défendirent un petit ; mais tantôt ils furent déconfits, ou morts ou pris. Que vous ferai-je long conte ? Ainsi fut la ville de Montferrant en Auvergne prise, le jeudi, par nuit, devant le dimanche gras, treizième jour du mois de février, par Perrot le Bernois et ses complices : et, si tôt qu’ils virent qu’ils étoient seigneurs de la ville, ils se logèrent par les hôtels, tout à leur aise, sans bouter feu ni faire autre violence ; car Perrot le Bernois défendit, sur la tête à perdre, que nul ne violât femme, ni pucelle, ni ne boutât feu, ni prensist pillage, ni prisonnier, grand ni petit, dont il n’eût la connoissence ; et que nul, sur la peine dessus dite, ne grevât ni molestât église nulle ni hommes d’église, ni que rien n’y fût pris ni ôté.

Toutes ces choses avoit Perrot le Bernois coutume et usage d’entretenir, et avoit entretenues, depuis qu’il se bouta en France pour faire guerre ès villes et chastels qu’il prenoit, fût par force ou autrement. Mais Geoffroy Tête-Noire faisoit tout le contraire, car il n’avoit cure où il fût pris, fût sur église ou ailleurs, mais qu’il en eût.

Quant ce vint au matin, que les nouvelles en vinrent en la cité de Clermont en Auvergne, qui siéd à une petite lieue de là, comment les Anglois en la nuit avoient pris et conquis la bonne ville de Montferrant qui leur est si prochaine et si voisine, si en furent toutes gens durement ébahis, et à bonne cause, car leurs ennemis étoient trop près amassés ; et n’en savoient que dire ni que faire ; et entendirent fort à garder leur ville. Ces nouvelles s’épandirent en plusieurs lieux, à Ville-Neuve sur Allier, à Thiers, à Yssoire, à Quersy, à Riom, une grosse ville, et, là de lez, à Aigue-Perse, au chastel de Montpensier : et tous ces pays, que je vous nomme, et toutes ces villes, la greigneur partie est au duc de Berry.

Les nouvelles furent tantôt trop loin sçues, comment les Anglois, Gascons et pillards, avoient pris et conquis la bonne ville de Montferrant en Auvergne. Tous ceux qui en ouïrent parler, et à qui il en touchoit, s’en émerveilloient et s’en doutoient, et frémissoient les voisins pays, Auvergne, Bourbonnois, Forez et jusques en Berry. Quand les nouvelles en furent venues à Paris, le roi et ses oncles en furent tout courroucés ; ce fut raison. Pour ce temps étoit le comte Dauphin d’Auvergne à Paris pour les besognes du pays, car il en étoit souverain regard et gardien avecques le comte d’Ermignac. Si lui vinrent à très grand’déplaisance ces nouvelles ; car il lui fut avis qu’il en recevroit blâme et parole : pourtant qu’il en étoit ainsi avenu, et on le savoit hors du pays. Mais l’excusance véritable et raisonnable qu’il avoit étoit telle, qu’il étoit en traité envers eux, et sur cel état il tenoit le pays pour assuré. Or ces nouvelles sçues, le comte Dauphin se départit tantôt de Paris, pour venir vers Auvergne pour remédier à ces besognes, et laissa tout son état derrière ; et chevaucha, lui et son page seulement, le chemin de Moulins en Bourbonnois, pour venir en Auvergne, et renouveloit tous les jours chevaux. En chevauchant en celle hâte, il ouït autres nouvelles à Saint-Pierre le Moustier qu’il n’avoit ouïes en devant, lesquelles je vous dirai.

CHAPITRE C.

Comment Perrot le Bernois et ses compagnons eurent conseil de non tenir la ville de Montferrant.


Quand ce vint le vendredi au matin, dont la ville avoit été prise le jeudi par nuit, si comme vous avez ci-dessus ouï parler, et que les capitaines furent tous seigneurs de la ville, premièrement les hommes tinrent-ils tous liés de-lez eux, tellement et en telle façon, qu’ils ne pouvoient partir et eux porter dommage ni contraire ; ils cherchèrent par tout, et prirent et firent trousser et enfardeler draps, touailles, linges, robes, pennes et toutes autres choses dont ils pensoient à avoir profit ; car ils avoient été en conseil ensemble et en collation, à savoir comment ils se maintiendroient, et s’ils tiendroient la ville ou non. Les aucuns s’accordoient à ce qu’ils la tinssent et s’y fortifiassent ; mais la plus saine partie le débattoit et disoit, que du tenir et là demeurer, ils feroient folie et outrage, car ils seroient enclos de tous côtés, et ils étoient trop loin de leurs forts ; et, s’ils étoient assiégés, il n’étoit pas apparent qui les pouvoit