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LIVRE III.

pour aller et retraire chacun en son fort, les uns à Carlat, et les autres à Chaluset, et ainsi de garnison en garnison. Si fut tout le pays d’Auvergne mieux sur sa garde qu’il n’eût en devant été. Toutefois le comte d’Ermignac et le comte Dauphin envoyèrent par devers Perrot le Bernois, en disant : que faussement et traîtreusement il avoit pris et emblé la ville de Montferrant, et levé pillage, et emmené les bonnes gens, et que tout ce fût amendé : car ils étoient en traité ensemble, si comme il le savoit bien. Perrot le Bernois répondit à ces paroles, et dit : que, sauve fût leur grâce, il, de sa personne, et tous les sept capitaines qui avoient été à Montferrant prendre, n’étoient en nul traité envers eux, et que la ville ils ne l’avoient point prise frauduleusement, emblée ni échelée ; mais y étoient entrés par la porte, laquelle on ouvrit à l’encontre d’eux et de leur venue. Et quand ils seroient en traité juré et scellé ensemble, ils le tiendroient, de leur partie, bien et loyaument ; mais ils n’avoient pas intention qu’ils s’y dussent encore mettre. Si demoura la chose en cel état ; et n’en purent les seigneurs autre chose avoir. Messire Pierre de Giac fut fort courroucé de ce qu’il avoit perdu, et les hommes de Montferrant qui pris avoient été se rançonnèrent au plus bellement comme ils purent. Ainsi en advint de celle aventure.

CHAPITRE CII.

Comment le duc de Berry fit les noces de sa fille Marie avec Louis de Blois, et de son fils Jean de Berry avec Marie de France ; et comment elle mourut assez tôt après, et madame Jeanne d’Ermignac, duchesse de Berry, semblablement.


En l’an de l’incarnation Notre Seigneur Jésus-Christ, mil trois cent quatre vingt six, au mois d’août, se départit le comte Guy de Blois, et la comtesse Marie sa femme, bien accompagné de chevaliers et d’écuyers, de dames et de damoiselles, et en bon arroy, et bien ordonnées, de la ville de Blois ; et se mirent au chemin pour venir en Berry ; et emmenèrent avecques eux leur jeune fils Louis de Blois qui l’année en devant avoit juré et fiancé Marie, fille au duc Jean de Berry ; et étoit l’intention au comte de Blois et à la comtesse que, eux venus à Bourges en Berry, leur fils procèderoit avant au mariage ; et aussi étoit telle l’intention au duc de Berry et à la duchesse sa femme. Si que, quand toutes ces parties furent les unes venues devant les autres, le mariage de ces deux jeunes enfans se confirma. Et furent conjoints par mariage ensemble, en l’église cathédrale de Saint-Étienne de Bourges par un vaillant homme et prélat, le cardinal de Tury, lesquels un chevalier de Berry, et l’évêque de Poitiers, en l’an devant avoient fiancés ensemble. À ces noces et à ce mariage de Louis de Blois et de madame Marie de Berry, eut en la cité de Bourges grandes fêtes et grands ébattemens, et grandes noces et solemnelles, et grands joutes de chevaliers et écuyers ; et durèrent les fêtes plus de huit jours. Quand tout ce fut accompli, le comte de Blois et la comtesse prirent congé au duc de Berry et à la duchesse ; et se mirent au retour ; et s’en retournèrent à Blois ; et emmenèrent avec eux leur jeune fille.

En celui an aussi épousa Jean de Berry, fils au duc de Berry, qui pour ce temps s’appeloit comte de Montpensier, Marie de France, sœur au jeune roi Charles de France. En l’année même que ces mariages furent faits, en temps de carême, vinrent la duchesse de Berry et Marie de France, la fille et leur fils, en la ville de Blois, voir le comte de Blois et la comtesse et leurs enfans. Si furent recueillis dedans le chastel de Blois, bien grandement et puissamment, et tous leurs gens aussi ; car le comte Guy le savoit bien faire. À toutes ces choses dont je parle, je fus présent.

Quand la duchesse de Berry et ses enfans eurent là été trois jours, ils se départirent et prirent le chemin de Poitiers ; mais ils allèrent par eau, sur la rivière de Loire, jusques à Amboise ; et depuis là, à chars et à chevaux, tant qu’ils furent en Poitou. Si tinrent leur hôtel la duchesse et ses enfans, le plus, en un bel chastel et bonne ville qu’on dit Chinon.

En cel an mourut Marie de France, qui jeune étoit, la femme au comte de Montpensier.

Assez tôt trépassa aussi de ce siècle madame Jeanne d’Ermignac, duchesse de Berry. Ainsi furent le duc de Berry et son fils à remarier, si comme ils furent puis après remariés ; mais ce ne fut pas si tôt. Desquels mariages et espécialement de celui du duc, je vous en parlerai quand temps et lieu sera, pour ce que notre matière requiert et demande qu’il soit déclaré.