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LIVRE III.

fuyans qui étoient tous ébahis et égarés, ainsi que gens sont qui se départent d’une besogne déconfite ; et churent proprement en l’avant-garde de l’évêque laquelle messire Jean de Say, un moult appert et sage chevalier, gouvernoit.

Le chevalier, qui tout devant étoit, leur demanda dont ils venoient ; ils répondirent : « De la bataille. » Donc demanda le chevalier : « Et comment va de la bataille ? » Ils répondirent : « Mal et laid ; nos gens sont tous déconfits et mis en chasse ; et sont pris ou morts, messire Henri et messire Raoul de Percy. N’allez plus avant, car voici les Escots qui viennent à effort. » Adonc demanda le chevalier : « Et les Escots sont-ils grand’foison ? » — « Ils sont tant de gens, répondirent les fuyans, que ils nous ont tous rués jus. »

Donc s’arrêta messire Jean de Say, et fit arrêter tous ceux de l’avant-garde. Adonc vint l’évêque de Durem et s’émerveilloit pourquoi on s’arrêtoit. Si chevaucha et demanda : « Avons-nous nulles nouvelles ? » Le chevalier vint devers lui et lui dit : « Monseigneur, ouil. » — « Et quelles, dit-il, en nom Dieu ? » — « Nos gens sont déconfits, et voici les Escots qui viennent, si comme les fuyans disent. » Et tantôt vinrent autres fuyans qui avoient tous tant couru qu’ils étoient mis jusque à leur grosse haleine ; et recordèrent la déconfiture ainsi que les premiers avoient fait.

Quand les gens de l’évêque de Durem entendirent que tous rapportoient povres nouvelles, si s’ébahirent grandement et se commencèrent à déconfire de eux-mêmes et à dire : « Où irons-nous ? Il est tout nuit ; ni nous ne savons ou nous chéirons. Il ne peut être que les Escots ne soient grands gens quand ils ont rué jus les nôtres. » Bien avoient volonté, l’évêque de Durem et messire Jean de Say et aucuns chevaliers qui là étoient, d’aller si avant que jusques aux Escots, et de retourner les fuyans ; mais ceux de pied étoient si découragés que ils le refusoient ; et disoient que ils n’iroient plus avant, et que si on vouloit qu’ils se combattissent, on s’arrêtât là en attendant les Escots ; et y mettoient bonne raison en disant : « Nous sommes encore tous lassés et tous travaillés de la journée de hier, et on veut que de pied et tout de nuit nous cheminions encore cinq ou six lieues angloises. Avant que nous fussions là, nous serions tous confus d’haleine et de force. » Et toutefois tous généralement ils tenoient celle opinion. Si que, tout considéré, ils retournèrent devers le Neuf-Chastel tout le pas, car il n’en étoit pas loin, et y rentrèrent à trois heures après mie-nuit ; et quand on sçut en la ville que leurs gens étoient déconfits, si renouvelèrent leurs guets, et renforcèrent leur garde aux portes, aux tours et aux murs ; et proprement l’évêque de Durem étoit à la porte de Bervich, et là se tenoit pour faire sa garde et pour mieux savoir des nouvelles ; et vous dis que les hommes et les femmes de Neuf-Chastel étoient moult effrayés, et encore l’eussent-ils plus été, si l’évêque de Durem et messire Jean de Say n’eussent là été.

Les aucuns supposoient et imaginoient, qui savent que c’est d’armes et de tels avenues, que si cil évêque de Durem et sa route se fussent traits avant sur la rescousse ; ils eussent porté grand dommage aux Escots, car ils étoient tous travaillés et lassés de combattre et de chasser, mais il n’en fut rien, par l’aventure que je vous ai dit, dont depuis ils en furent grandement blâmés et repris des barons de Northonbrelande et des chevaliers et écuyers qui là reçurent grand dommage ; et en faisoient exemple ceux qui en parloient comment en armes sont moult d’aventures : « Ne trouvons mie en escript de notre guerre d’Angleterre et de France, du temps le bon roi Édouard, entrues que il séoit au siége devant Calais, et que ses chevaliers se combattoient pour lui en plusieurs lieux parmi le royaume de France tant en Gascogne comme en Bretagne ; il avint en ce temps que messire Charles de Blois qui s’escripsoit duc de Bretagne, avoit levé le siége des gens la comtesse de Montfort son adversaire, et à celle propre heure messire Jean de Hartecelle, un chevalier des nôtres, seulement atout cent lances, après la déconfiture, et que messire Charles de Blois cuidoit avoir en tout gagné, s’en vint aventurer et se bouter en l’ost de messire Charles, et le déconfit ; et fut pris la plus grand’partie des siens, et rescous tous ceux qui pris étoient. Et aussi devant le chastel de Soubise en Xaintonge, prit Yvain de Galles, le captal de Buch, et le rua jus et toutes ses gens ; lequel capitaine avoit levé le siége de Soubise ; et pris messire Regnault de Pont et grand’foison de chevaliers et d’écuyers François, Poitevins et Xaintongiers, et par son hardie emprise. Ainsi peut-on supposer certainement que si l’évêque de Durem