Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1393]
191
LIVRE IV.

depuis chevaucha tant le héraut, qu’il vint en un manoir lez Londres où il trouva le roi. Si très tôt comme il fut venu on le mena en la chambre du roi, pour ce qu’il venoit de Calais et des deux ducs qui au traité avoient été et encore étoient. Si lui bailla les lettres. Le roi les ouvrit et legit, et de ce que dedans trouva il eut grand’joie ; et pour les bonnes nouvelles que le héraut avoit apportées, il lui donna grands dons, si comme le dit héraut, nommé le roi Marke, me dit depuis à grand loisir, chevauchant avecques lui au royaume d’Angleterre.

Or retournons aux traiteurs et seigneurs de France et d’Angleterre, qui étoient encore à Lolinghen, Quand ils vouloient, ils séjournoient en leurs tentes et pavillons, qu’ils avoient là fait tendre et parer si grandement que merveille étoit à considérer ; et entendoient à ce que les lettres fussent si vérifiées, que nulle chose de trouble ni d’obscur n’y pût être entendu ni vu ; et de ce avoient les Anglois grand soin et diligence ; et vouloient bien tous les articles voir et examiner avant que ils les scellassent ou voulsissent passer, et toutes les paroles justement entendre.

Or survint un trop grand empêchement, parquoi les traités, où on avoit tant labouré et travaillé, furent sur le point d’être tous perdus et brisés ; et la matière dont ce vint je le vous éclaircirai, car on doit parler justement de toutes choses, afin que les histoires en soient tenues pour véritables.

Vous savez, si comme il est ci-dessus contenu, que le roi Charles de France eut grand’volonté d’être et séjourner en la ville d’Abbeville un grand temps ; et les longs séjours venoient pour la cause de leurs procès et traités, qui se firent en celle saison entre les parties dessus dites. Sur la conclusion de leurs procès, les ducs de Lancastre et de Glocestre mirent en termes et proposèrent que c’étoit l’intention du roi Richard d’Angleterre et de son conseil que le pape Boniface étant à Rome, lequel les Romains, les Allemands, les Hongrois, les Lombards, les Vénitiens, les Anglois et toutes les nations du monde chrétiennes tenoient à vrai pape, fors seulement la nation de France, fût tenu à pape. Et cil qui Clément se nommoit et escripsoit, fût dégradé et condamné. Et dirent les deux ducs d’Angleterre et proposèrent que de ce ils avoient charge espéciale des trois états d’Angleterre.

Quand les ducs de Berry et de Bourgogne entendirent ces procès, pour leurs cousins d’Angleterre complaire et que les traités de trêves et de paix à supposer, qui tant leur avoient coûté, demeurassent et pussent demeurer fermes et entiers, ils demandèrent très aimablement à avoir conseil de répondre. On leur accorda ; ils se conseillèrent et tantôt répondirent. Et parla et remontra la matière moult sagement le duc de Bourgogne, et bien le sçut faire ; et pour adoucir et modérer l’imagination de leurs cousins d’Angleterre, qui ce avoient proposé, il dit ainsi : « La matière et question des papes n’est pas convenable pour mettre en forme ni en voie sur nos traités. Et nous émerveillons, mon frère de Berry et moi, pourquoi vous l’avez mise ni proposée en termes ; car, au premier chef de nos traités, vous proposâtes et fîtes proposer que du cardinal de la Lune, le légat qui se tient et séjourne en Abbeville, vous ne vouliez point voir ni ouïr nulles de ses paroles ; et sur ce nous nous sommes fondés et arrêtés, nous fondons et arrêtons ; et disons ainsi que, quand les cardinaux de Rome élurent à pape Urbain et puis Boniface, Urbain mort, à l’élection nul de notre côté ni du vôtre n’y furent appelés. Pareillement aussi de celui qui s’appelle Clément, qui pour le présent se tient et séjourne en Avignon. Nous ne contredisons pas que grand’aumône seroit eux apaiser et unir qui pourroit, mais que entendre ils y voulussent. Nous le mettrons derrière, et en laisserons convenir les clercs de l’université de Paris ; et quand toutes nos besognes seront conclues en bien, et ferme paix de notre partie, avecques le moyen du conseil et consistoire de notre cousin roi d’Allemagne, nous y entendrons volontiers et adresserons, et aussi vous de votre partie. » Celle réponse, que le duc de Bourgogne fit, plut assez à ses cousins d’Angleterre, et leur sembla raisonnable et acceptable ; et répondirent les deux ducs d’Angleterre : « Vous avez bien parlé, et ainsi soit que proposé et remontré l’avez. » Si demeura la chose en bon état comme au devant. Mais encore y eut sur la conclusion de tous leurs procès et traités un grand empêchement ; car le roi de France, qui tout l’été, jusques près de la Saint-Jean-Baptiste, s’étoit tenu en la ville d’Abbeville, pour cause des beaux et grands ébattemens qui y sont, retourna en la maladie de frénésie, si comme