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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

ils furent apparilliés, si se partirent bien cent lances et quarante arbalestrlers ; et s’en venoient devers le pont de la Fer en Tournesis, où Jaquemon estoit jà à plus de cinquante mille Flamens. Si attendoit les deux contes, pour venir ensamble devant Tournay. Et ensi qu’ils chevauchoient, il leur convenoît passer d’encoste Lille, leur venue estoit jà sceue à Lille. Dont s’armèrent et partirent de le ville secrètement bien quinze cens, que à pié que à cheval ; et se mirent en trois agais. Si vinrent les plus appers droit au pas, et se embusquèrent entre haies et buissons.

CHAPITRE CXCV.

Or chevaucèrent ces deux contes et leur routte, sur le guiement messipe Wafflard de le Crois, qui grant temps avoit guerrlé ceulx de Lille et encore faisoit. Et quant il les eut amenés jusqu’à là, il trouva que ceulx de Lille avoient copée la voie leur il cuidoit passer. Dont leur dist-il : « Beaux seigneurs, je me perçoy bien que ceulx de Lille scevent vostre venue. Si me doubte qu’ils n’aient fait embusce sur nous, car nous ne poons cy passer sans grant péril. Si sachiés que je vous ay jusques à cy amenés ; mais par mon conseil nous retournerons et yrons par ailleurs. Et tenez vous contens de ma compaignie ; car se ceulx de Lille saillent hors et ils viennent sur nous, n’aiez nulle fiance en moy ; car je me salverai au plus tost que je porray. Car se je estoie pris, tous ly or de Bruges ne me racateroit point, que je ne fuisse mors à honte. Et je le vous remonstre adfin que vous n’en puissiez parler sur mon honneur. » Et quant ces seigneurs l’oyrent, si lui dirent en riant : « Waflard, alons toudis ; ce ne sont que vilains, ils n’oseroient widier. » Alors se mirent à aprochier la ville de Lille. Adont sailly une embusce de cinq cens hommes au chemin devant eulx ; et commencèrent à crier : « À la mort ! » Si y avoit arbalestriers qui tiroient de fors trais. Et quant messire Waflard oy ce, sans plus parler, il retourna son cheval et se salva ; et les deux seigneurs d’Engleterre furent mieux pris que poisson à le roit ; car ils estoient en ung estroit chemin, entre haies et buissons et grans fossés. Dont ils ne pooient salir ne prendre les camps. Non pourquant, quant il virent le destroit, il se deffendirent moult vaillamment, tant qu’ils peurent. Mais finablement leur deffence ne leur valy riens ; car leurs gens furent mors, et les deux seigneurs, pris et mis en prison ens és halles de Lille, et gardé bien seurement ; et dedans tiers jours furent menés devers le roy de France ; et lui en fu fait ung bel présent à tout une belle compaignie. Quant le roy sceut comment ceulx de Lille avoient esploitié, si en fu moult joieux ; et dist que c’estoient bonne gent ; et de ce qu’il avoient fait, il en vauroient mieulx. Si furent les deux contes mis en Chastelet en prison, où ils furent depuis grant temps, ensy que vous orez. Mais sachiés que, quant Jacque d’Artevelle sceut le prise des deux contes, il en fu tout courouchiés et confus, et fu s’emprinse brisie. Si s’en revint vers Gant, et donna à toutte gent congiet.

CHAPITRE CXCVI.

Or parlerons du conte de Laille qui estoit parti de Paris, lieutenant du roy ens ès marches de Gascongne, qui estoit à Toulouse. Si fit son mandement où il eut moult de grans seigneurs, tant qu’il eut bien trois mille hommes d’armes et trois mille sergans à lances et à pavais. Si se partirent de Toulouse ; et s’en vinrent au mont Saint-Albain ; et de là entrèrent en la ducié d’Aquitaine, où ils commencèrent à faire guerre, et à asségier forteresses, et à prendre prisonniers, et à faire moult de desrois en la terre de La Bret et sur le terre du seigneur de l’Espare, le seigneur de Tharste et le seigneur de Muchident, lesquels n’estoient point adont fort assez pour résister. Non pourquant ils fisent mainte chevaucie sur eulx, fust perte fust gaingne ; mais touttes voies le conte de Laille et se routte tenoient les camps.

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