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LIVRE I. — PARTIE I.

assez tôt après grands messages et suffisans au jeune roi d’Escosse son serourge et à son conseil, et lui fit requérir qu’il voulût ôter sa main de la bonne cité de Bervich, et lui ressaisir ; car c’étoit son héritage, et avoit été de ses devanciers rois d’Angleterre ; et qu’il vînt à lui pour faire hommage du royaume d’Escosse qu’il devoit tenir de lui en fief[1].

Le jeune roi David se conseilla à ses barons et à ceux de son pays, par grand’délibération ; et quand il fut assez conseillé sur ces requêtes, il répondit aux messages et dit : « Seigneurs, nous et tous nos barons nous merveillons durement de ce que vous nous requérez de par le roi votre seigneur, car nous ne trouvons mie en nos anciens registres ni ne tenons que le royaume d’Escosse soit de rien sujet, ni doit être, au roi d’Angleterre, ni par hommage ni autrement ; ni oncques messire le roi notre père, de bonne mémoire, ne voulut faire hommage à ses devanciers rois d’Angleterre, pour guerre qu’on lui en fît ; aussi n’ai-je point conseil ni volonté du faire. En après, notre père le roi Robert conquit la cité de Bervich[2], par droite guerre, sur le roi d’Angleterre son père, et la tint tout le cours de sa vie, comme son bon héritage ; aussi le pensé-je bien à tenir, et en ferai mon pouvoir. Si vous requiers que vous veuillez prier au roi, de qui la sœur nous avons, qu’il nous veuille laisser en cette franchise que nos devanciers ont été, et jouir de ce que le roi notre père conquit et maintint toute sa vie paisiblement, et que encontre ne veuille croire nul mauvais conseil ; car si un autre nous vouloit faire tort, si nous devroit-il aider à défendre, pour l’amour de sa sœur que nous avons à femme.

Les messages répondirent : « Sire, nous avons bien entendu votre réponse ; si la rapporterons à notre sire le roi, en telle manière que dit l’avez. » Puis prindrent congé et revindrent arrière à leur seigneur le roi d’Angleterre et à son conseil. Si recordèrent toutes les paroles que le jeune roi d’Escosse avoit répondu à leur requête. Lequel rapport ne plut mie bien au roi Édouard ni à son conseil ; ainçois fit mander à Londres à un jour de parlement tous ses barons, chevaliers et conseils des bonnes villes de son royaume, pour avoir sur ce conseil et mûre délibération.

Ce terme pendant vint messire Robert d’Artois de Brabant en Angleterre[3], en guise de marchand, qui étoit déchassé du roi Philippe de France, si comme vous avez ouï ; et lui avoit le duc de Brabant conseillé qu’il se traist cette part, au cas qu’il ne pourroit nulle part demeurer paisiblement en France ni en l’Empire. Si le reçut le jeune roi anglois liement, et le retint volontiers de-lez lui et de son conseil ; et lui assigna le comté de Richemont[4] qui avoit été à ses devanciers.

  1. Les historiens anglais ne disent point, comme Froissart, qu’Édouard fit sommer David Bruce de lui livrer Berwick et de reconnaître sa suzeraineté sur le royaume d’Écosse ; mais leur silence ne paraît pas suffisant pour faire rejeter son récit. Il est possible qu’Édouard, avant de se déclarer ouvertement pour Balliol, ait tenté d’obtenir de David et de la régence d’Écosse la réformation d’un traité humiliant pour lui, et les mêmes conditions que Balliol lui offrait : il est même très probable qu’Édouard, à ce prix, eût mieux aimé voir la couronne d’Écosse sur la tête de son beau-frère, trop jeune encore pour gouverner par lui-même, que sur celle d’un prince dans la vigueur de l’âge, et qui annonçait du courage et des talens.
  2. Robert Bruce conquit en effet Berwick sur Édouard II, en 1319.
  3. Froissart a été mal informé de la date de la retraite de Robert d’Artois en Angleterre : on ne peut la placer avant le commencement de l’année 1334, puisqu’il est certain que ce prince était encore malade à Namur aux fêtes de Noël de l’année 1333.
  4. Il n’est point fait mention de Robert d’Artois dans la généalogie des comtes de Richmond, insérée dans le 1er volume du Monasticon Anglicanum. À Jean de Bretagne, comte de Richmond, mort le 17 janvier 1333, succède immédiatement Jean, duc de Bretagne, son neveu, qui posséda ce comté jusqu’au mois d’avril 1341, date de sa mort. Alors Édouard mit le comté de Richmond sous sa main et en affecta les revenus à l’entretien de Leonnel, de Jean, de Jeanne et d’Isabelle ses enfans. Ces actes, publiés par Rymer, sont datés, l’un du 16, l’autre du 19 mai 1341. Ainsi Froissart se trompe quand il dit qu’Édouard donna le comté de Richmond à Robert d’Artois.

    Dugdale est aussi opposé ici à Froissart. « Dans la première année du règne d’Édouard III, dit-il (Baronage, vol. 1, p. 46), Jean, duc de Bretagne, obtint la permission de céder le comté de Richmond, avec le château de Richmond et le château de Bowes à Arthur, son frère et héritier : à la mort de Jean de Bretagne, Jean de Dreux, fils d’Arthur, rendit hommage, pour ce comté de Richmond. Il mourut le 16 mai dans la quinzième année du règne d’Édouard III. Jean, duc de Bretagne et comte de Montfort, rendit bientôt hommage pour ce comté, qui continua dans cette famille jusqu’à Jean dit le Vaillant. Celui-ci s’étant uni au roi de France, et ayant ainsi manqué à son allégeance, ce comté lui fut confisqué dans la seconde année du règne de Richard II. »