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LIVRE I. — PARTIE I.

cord ils ne se peuvent bonnement ni longuement chevir. Et tant parlementèrent ensemble qu’ils furent d’accord, en telle manière qu’il plaisoit bien à tout le conseil de Flandre que le roi anglois et toutes ses gens pouvoient bien venir et aller, à gens d’armes et autrement, par toute Flandre, ainsi qu’il lui plairoit : mais ils étoient si forment obligés envers le roi de France qu’ils ne le pourroient grever, ni entrer en son royaume, qu’ils ne fussent atteints d’une si grand’somme de florins que à grand’malaise en pourroient-ils finer ; et leur prièrent que ce leur voulût suffire jusques à une autre fois. Ces réponses et ces exploits suffirent adonc assez à ces seigneurs ; puis s’en revinrent arrière à Valenciennes à grand’joie, Souvent envoyoient leurs messages devers leur seigneur et lui signifioient ce qu’ils avoient besogné ; et le roi leur envoyoit grand or et grand argent pour payer leurs frais et départir à ces seigneurs d’Allemagne qui ne convoitoient autre chose.

En ce temps trépassa le gentil comte de Hainaut sept jours au mois de juin, l’an de grâce mil trois cent trente sept[1]. Si fut enseveli aux Cordeliers à Valenciennes ; et là fit-on son obsèque et chanta la messe l’évêque Guillaume de Cambray[2], et y eut grand’foison de ducs, de comtes, de barons, et de chevaliers : ce fut bien raison, car il étoit grandement aimé et renommé de tous. Après sa mort se trait à la comté de Hainaut, de Hollande et de Zélande, messire Guillaume son fils, qui eut à femme la fille au duc Jean de Brabant ; et fut cette dame, qui s’appeloit Jeanne, douée de la terre de Binch[3], qui est bien moult bel héritage et profitable ; et madame Jeanne de Valois sa mère s’en vint demeurer à Fontenelles[4] sur Escaut ; et elle usa le demeurant de sa vie, comme bonne dame et dévote, en la dite abbaye, et y fit moult de biens en l’honneur de Dieu.


CHAPITRE LXVII.


Comment aucuns chevaliers et écuyers flamands étoient en l’île de Gagant qui gardoient couvertement le passage contre les Anglois.


De toutes ces devises et ordonnances, ainsi comme elles se portoient et étendoient, et des conforts et des alliances que le roi anglois acquéroit par deçà la mer, tant en l’Empire comme ailleurs, étoit le roi Philippe tout informé ; et eût volontiers vu que le comte de Flandre se fût tenu en son pays, et eût attrait ses gens à son accord : mais ce Jaquemart d’Artevelle avoit jà si surmonté toutes manières de gens en Flandre, que nul n’osoit contredire à son opinion. Mêmement le comte leur sire ne s’osoit clairement tenir en Flandre son pays ; et avoit envoyé madame sa femme[5] et Louis son fils en France, pour doute des Flamands. Avec ce se tenoient en l’île de Gagant[6] aucuns chevaliers et écuyers de Flandre en garnison, dont messire Ducres de Hallewyn[7], et messire Jean de Rhodes et les enfans de l’Estrief étoient capitaines et souverains ; et là gardoient le passage contre les Anglois, et faisoient guerre couvertement : dont les chevaliers d’Angleterre, qui se tenoient en Hainaut, étoient tous informés que, si ils s’en ralloient par là en leur pays, ils seroient rencontrés ; parquoi ils n’étoient mie bien assur. Nonobstant ce, chevauchoient eux et alloient à leur volonté parmi le pays de Flandre et par les bonnes villes ; mais c’étoit sur le confort de Jaquemart d’Artevelle, qui les portoit et honoroit en toutes manières, ce qu’il pouvoit. Or retournerons un petit au duc de Brabant.


CHAPITRE LXVIII.


Comment le duc de Brabant envoya ses messages par devers le roi de France pour lui excuser de l’alliance qu’il avoit faite avec les Anglois ; et comment les seigneurs d’Angleterre s’en retournèrent.


Quand le duc de Brabant eut fait ses convenances à ces seigneurs d’Angleterre, si comme vous avez ouï, il s’avisa que le roi de France autrefois lui avoit été contraire. Si se douta qu’il

  1. Quelques manuscrits portent treize cent trente-huit. Cette leçon ne peut être admise : il est certain que Guillaume, comte de Hainaut, mourut le 7 juin 1337.
  2. Il s’appelait Guillaume d’Auxonne.
  3. Petite ville du Hainaut.
  4. Ancienne abbaye de filles de l’ordre de Citeaux située à peu près à une lieue de Valenciennes.
  5. Il avait épousé Marguerite de France, deuxième fille du roi Philippe-le-Long, de laquelle il eut Louis, surnommé de Male du lieu de sa naissance.
  6. Cadsand, île située entre la ville de L’Écluse et l’île de Walcheren en Zélande.
  7. Les annales de Flandre disent mieux le Duckere (seigueur) de Hallewyn.