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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et haut fief, et relève de l’empereur ; et l’a attribué au royaume de France : parquoi le dit empereur a bien cause de le défier par nous qui sommes ses sujets. Si que nous vous prions et conseillons que vous y veuilliez mettre peine et pourchasser son accord pour notre paix et honneur ; et nous y mettrons peine avec vous à notre loyal pouvoir. »

Le roi anglois fut tout confus quand il ouït ce rapport, et bien lui sembla que ce fut un détriement ; et bien pensa que ce venoit de l’avis du duc de Brabant, son cousin, plus que des autres. Toutes voies il considéra assez qu’il n’en auroit autre chose et que le courroucer ne lui pouvoit rien valoir : si en fit le meilleur semblant comme il put, par emprunt, et leur dit : « Certes, seigneurs, quand je vins ci je n’étois mie avisé de ce point ; et si plutôt m’en fusse avisé, j’en eusse volontiers usé par votre conseil[1], et encore vueil faire. Si m’en aidez à conseiller, selon ce que je suis deçà la mer en étrange pays appassé ; et si y ai longuement séjourné et à grands frais, si m’en veuillicz donner bon conseil pour votre honneur et pour la moye[2] ; car sachez que, si je ai en ce cas aucun blâme, vous n’y pouvez avoir honneur. »


CHAPITRE LXXIV.


Comment le roi d’Angleterre envoya le marquis de Juliers par-devers l’empereur pour avoir son accord ; et comment il fit le roi d’Angleterre son vicaire par tout l’Empire.


Longue chose seroit à raconter tous leurs conseils et toutes leurs paroles. Accordé fut entre eux à la parfin que le marquis de Juliers iroit parler à l’empereur : et iroient des chevaliers et des clercs le roi avec lui, et du conseil du duc de Guerles aussi, et feroient la besogne à la meilleure foi qu’ils pourroient. Mais le duc de Brabant n’y voulut point envoyer ; mais il prêta le châtel de Louvaing au roi, pour demeurer s’il lui plaisoit jusques à l’été ; car le roi leur avoit bien dit que nullement ne s’en retourneroit en Angleterre ; car honte et vergogne lui seroit, s’il retournoit sans avoir fait partie de son emprise, de quoi si grand’fame étoit, si la défaute n’en demeuroit en eux. Et leur dit le jeune roi qu’il manderoit sa femme, et tiendroient leur hôtel dedans le dit châtel de Louvain, puisque le duc son cousin lui avoit offert. Ainsi se départit ce parlement ; et créantèrent les uns en la présence des autres tous ces seigneurs, que jamais ils ne querroient nulle excusation ni détriement ; que, de la fête Saint Jean-Baptiste qui seroit l’an mil trois cent trente neuf en avant, ils seroient ennemis du roi de France, et seroit chacun appareillé ainsi que promis avoit. Chacun en ralla en son lieu : le marquis de Juliers se mut à toute sa compagnie pour aller devers l’empereur ; si le trouva à Florinberg[3].

Pourquoi ferois-je long compte de leurs paroles, ni de leurs requêtes ? Je ne les saurois raconter tout entièrement, car je n’y fus mie ; mais le dit marquis de Juliers parla si gracieusement à monseigneur Louis de Bavière, empereur de Rome pour le temps, qu’ils firent toutes leurs besognes et ce pourquoi ils étoient là allés ; et y rendit madame Marguerite de Hainaut sa femme, moult grand’peine. Et fut adonc fait marquis de Juliers, qui paravant étoit comte de Juliers, et le duc de Guerles qui étoit comte fait duc de Guerles[4] ; et impétrèrent ces augmentations de noms, ces gens qui là étoient. Et aussi l’empereur donna commission à quatre chevaliers et à deux clercs de droit, qui étoient de son conseil, et pouvoir de faire le roi d’Angleterre Édouard son vicaire par tout l’Empire[5] ; et lui donna grâce

  1. Il y avait déjà long-temps qu’Édouard avait commencé à traiter avec l’empereur.
  2. La mienne.
  3. Florinberg, Mons S. Floræ, dans l’ancien évêché de Fulde : ce lieu, considérable alors, n’est plus aujourd’hui qu’un village.
  4. Il est inutile d’observer que ce fait n’est pas exact. Tous les monumens déposent que Guillaume VII, qui étoit comte de Juliers, fut fait alors marquis ou margrave, titre qu’il conserva jusqu’en 1356 que l’empereur Charles IV le fit duc.
  5. Froissart parait avoir été mal informé de la manière dont le vicariat de l’Empire fut conféré à Édouard. La plupart des historiens s’accordent à dire que l’empereur présida lui-même à cette cérémonie ; mais ils diffèrent sur le lieu où elle se fit : ce fut à Francfort, suivant Meyer et l’auteur anonyme de la Chronique de Flandre, qui en donne un long détail ; à Cologne, selon Walsingham, qui a été suivi par Jos. Barnes, Rapin Thoiras, et la plupart des historiens anglais. Mais Lewoldus à Northolf, Edmundus Dinteras, et plusieurs autres placent la scène à Coblentz, apud Confluenciam, et la fixent au mois de septembre 1338. Leur récit est confirmé par deux chartes émanées d’Édouard en sa qualité de vicaire de l’Empire, qui ont été découvertes par l’auteur d’une thèse soutenue à Strasbourg en 1778, ayant pour titre de vicariis imperii Romani Germ., speciatim de vicariatu German. inferior. Eduardo III commisso, etc. Dans l’une