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LIVRE I. — PARTIE I.

parquoi il put faire monnoie d’or et d’argent, de par lui et au nom de lui ; et commandement que chacun de ses sujets obéît à lui comme à son vicaire et comme à lui-même. Et de ce prirent les dessus dits, instrumens publics conformes et scellés suffisamment de l’empereur. Quand le dit marquis de Juliers eut fait toutes ses besognes, il et sa compagnie se mirent au retour.


CHAPITRE LXXV.


Comment le roi David d’Escosse avec la roine sa femme vinrent à Paris au roi de France ; et comment il et tous les barons d’Escosse lui promirent et jurèrent qu’ils ne feroient point paix aux Anglois sans son conseil.


En ce temps le jeune roi David d’Escosse, qui avoit perdu grand’partie de son royaume et ne le pouvoit recouvrer, pour l’effort du roi d’Angleterre son serourge, se partit d’Escosse privément à petite menée, avec la roine sa femme ; et se mirent en mer. Si arrivèrent à Boulogne, et puis firent tant qu’ils vinrent en France[1], et droitement à Paris où le roi Philippe se tenoit pour le temps, attendant tous les jours que défiances lui vinssent du roi anglois et des seigneurs de l’Empire, selon ce qu’il étoit informé. De la venue du roi d’Escosse fut le roi de France moult réjoui, et le fêta grandement, pourtant qu’il en entendoit à avoir grand confort ; car bien véoit le roi de France et oyoit dire tous les jours que le roi d’Angleterre s’appareilloit tant qu’il pouvoit pour lui faire guerre : si que, quand le roi d’Escosse lui eut montré sa besogne et sa nécessité, et en quelle instance il étoit là venu, il fut tantôt tout acquitté de lui ; car moult bien se savoit acquitter de ceux dont il espéroit à avoir profit, ainsi que plusieurs grands seigneurs savent faire. Si lui présenta ses châteaux pour séjourner à sa volonté, et de son avoir pour dépendre, mais qu’il ne voulut faire aucune paix ni accord au roi d’Angleterre, fors par son conseil. Le jeune roi d’Escosse reçut en grand gré ce que le roi de France lui offrit, et lui créanta tout ce qu’il lui requit. Si sembla adonc au roi de France que c’étoit grand confort pour lui et grand contraire pour le roi d’Angleterre, s’il pouvoit tant faire que les seigneurs et les barons qui étoient demeurés en Escosse voulussent et pussent si ensonnier les Anglois qu’il n’en pût venir, si petit non, de deçà la mer pour lui gréver, ou qu’il convînt le roi d’Angleterre repasser pour garder son royaume. Pour ce et en telle intention il retint ce jeune roi d’Escosse et la roine sa femme de-lez lui, et les soutint par long-temps, et leur fit délivrer quant qu’il leur besognoit : car d’Escosse leur venoit-il assez peu pour leur état maintenir. Et envoia le dit roi de France grands messages en Escosse à ces seigneurs et barons qui là guerroioient contre les garnisons du roi d’Angleterre, et leur fit offrir grand’aide et grand confort, mais qu’ils ne voulussent faire paix ni donner nulles trêves aux Anglois, si ce n’étoit par sa volonté et par son conseil, et par la volonté et le conseil de leur seigneur le roi d’Escosse, qui tout ce lui avoit promis et juré à tenir.

    de ces chartes, datée d’Anvers le 20 novembre 1338, Édouard dit formellement que l’empereur l’a établi son vicaire, dans une assemblée solennelle tenue a cet effet à Coblentz ; l’autre, qui est datée de Malines, le 18 septembre de la même année, prouve qu’à cette époque Édouard était déjà revenu de Coblentz, et qu’ainsi la cérémonie en question avait dû se faire plusieurs jours auparavant. Rymer, quoiqu’on ne trouve dans son recueil aucun acte relatif au vicariat d’Édouard, nous fournit néanmoins des dates propres à confirmer l’authenticité des pièces dont on vient de parler. On y voit que ce prince avait constamment demeuré en Brabant depuis son débarquement, et qu’il était encore à Herentals le 20 août ; qu’il était à Coblentz le 6 septembre, et qu’il était revenu à Malines le 18 du même mois. C’est donc dans cet intervalle, c’est-à-dire vers les derniers jours d’août ou le commencement de septembre, qu’Édouard se rendit à Coblentz auprès de l’empereur et fut pourvu par lui personnellement du vicariat de l’Empire. Ainsi la plupart des historiens se sont trompés sur le lieu de l’entrevue ; et Froissart s’est trompé plus matériellement encore en supposant qu’il n’y en eut point et que l’empereur se contenta d’envoyer à Édouard la patente par laquelle il le créait son vicaire. Mais si Froissart a erré sur ce point, ce n’est pas une raison pour rejeter le reste de son récit, d’autant plus qu’il peut très bien se concilier, à cette circonstance près, avec celui d’Edmundus Dinterus et des autres historiens, et qu’il donne des détails assez vraisemblables. Il paraît en effet très naturel qu’Édouard, avant de se rendre auprès de l’empereur, se soit fait précéder par le marquis de Juliers et par quelques seigneurs anglais pour terminer les négociations commencées, convenir du lieu de l’entrevue, régler le cérémonial, etc. On peut supposer aussi, sans blesser la vraisemblance, qu’Édouard, pressé de retourner en Brabant, soit qu’il y fût rappelé par ses affaires, soit qu’il ne voulût pas faire un long séjour dans un lieu où il n’était que le second, partit sans avoir le diplôme, et que l’empereur le lui envoya par des chevaliers et des gens de loi, chargés de le publier solennellement dans une assemblée des seigneurs d’en deçà du Rhin, ainsi que Froissart le dira au chap. 76.

  1. David Bruce s’était retiré en France dès l’année 1332.