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LIVRE I. — PARTIE I.

quand le flux de la mer fut revenu, ils se désancrèrent et cinglèrent à l’exploit du vent devers Normandie, et s’en vinrent rafraîchir à Dieppe ; et là départirent leur butin et leur pillage. Or nous retournerons au roi anglois qui se tenoit à Malignes et s’appareilloit fort pour venir devant la cité de Cambray.


CHAPITRE LXXXI.


Comment le roi d’Angleterre se partit de Malignes et s’en vint à Bruxelles parler au duc de Brabant et pour savoir quelle étoit son intention.


Le roi anglois se partit de Malignes, où il avoit longuement séjourné à grands frais et dépens, en attendant de jour en jour ces grands seigneurs d’Allemagne qui point ne venoient, ainsi que promis lui avoient, dont moult lui ennuyoit, mais passer il lui en convenoit. Si s’en vint à Bruxelles pour parler au duc de Brabant son cousin, et toutes ses gens passèrent au dehors. Adonc s’avalèrent Allemands efforcément, le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le marquis de Brankebourch, le marquis de Misse et d’Eurient, le comte de Mons[1], le comte de Saulmes, le sire de Fauquemont, messire Arnoul de Blakehen et tous les seigneurs de l’Empire alliés au roi anglois ; et étoient bien vingt mille hommes d’armes. D’autre part étoit messire Jean de Hainaut qui se pourvéoit grossement pour être en cette chevauchée ; mais il se tenoit devers le comte de Hainaut son neveu.

Quand le roi anglois et messire Robert d’Artois furent venus à Bruxelles, et ils eurent parlé au duc de Brabant assez et de plusieurs choses, ils demandèrent au dit duc quelle étoit son intention, de venir devant Cambray ou du laisser. Le duc à cette parole répondit et dit que : sitôt comme il pourroit savoir qu’il auroit assiégé Cambray, il se trairoit de cette part à douze cents lances bien étoffées de bonnes gens d’armes. Ces réponses suffirent bien au roi anglois adonc et à son conseil. Si se partit le dit roi de Bruxelles et passa parmi la ville de Nivelle, et là gésit une nuit. Lendemain il vint à Mons en Hainaut, et là trouva le jeune comte son serourge et messire Jean de Hainaut son oncle qui le reçurent moult liement, et messire Robert d’Artois qui étoit toujours de-lez le roi et de son plus secret conseil, et environ quinze ou vingt grands barons et chevaliers d’Angleterre, que le dit roi menoit avec lui pour son honneur et son état, et pour le conseiller. Et si y étoit l’évêque de Lincolle, qui moult étoit renommé en cette chevauchée de grand sens et de prouesse.

Si se reposa le roi anglois deux jours à Mons

    sus, si lorsque le duc serait passé en Angleterre son conseil jugeait cette prolongation nécessaire ; mais ces douze semaines passées, si le duc ne licenciait point les troupes, elles devaient être à ses gages. Le roi s’obligeait de son côté à tenir sur mer une flotte assez considérable pour la sûreté du passage et du retour de l’armée, ainsi que du transport des vivres. Si l’expédition était différée à une autre année, le roi devait le leur notifier trois mois avant l’embarquement et déduire sur leur service de l’année les frais qu’auraient occasionés les préparatifs du passage. Les Normands s’obligeaient encore, en cas que le royaume fût attaqué par les ennemis, à marcher à sa défense avec le nombre de troupes susdit, pendant l’espace de huit semaines seulement, à condition toutefois que le roi ou leur duc serait à l’armée, et que durant l’année où la province ferait cette aide elle serait exempte de l’arrière-ban. « Si l’Angleterre est conquise, comme on l’espère, la couronne appartiendra dès lors au duc de Normandie et après lui à ses héritiers rois de France à perpétuité. Les terres et droits des Anglais nobles et roturiers séculiers appartiendront aux églises, barons, nobles et bonnes villes de Normandie ; et la portion des dites églises sera amortie par le roi jusqu’à vingt mille livres sterling de rente. Les biens appartenant au pape, à l’église de Rome et à celle d’Angleterre demeureront dans leur entier et ne seront point compris dans la conquête. Et comme le roi veut toujours agir de bonne foi avec ses amis et alliés, on restituera au roi d’Écosse et à ses sujets tout ce qui aura été usurpé sur eux par les Anglais. Si la paix se fait avant l’expédition en Angleterre, la Normandie conservera les privilèges qui lui ont été octroyés pour récompenser son zèle, à condition qu’elle fournira au roi, dans la première guerre qu’il aura à soutenir, deux mille hommes d’armes soudoyés pour douze semaines, déduction faite, comme ci-dessus, des frais qu’auraient pu causer les préparatifs de l’expédition : mais si la paix ne se fait qu’après la dite expédition, ou après que les troupes normandes auront servi un mois le roi par terre contre ses ennemis, la province ne sera plus tenue à fournir les dits deux mille hommes d’armes. » On peut voir sur cet accord le Recueil des traités entre les rois de France et d’Angleterre par Du Tillet et Robert d’Avesbury qui le rapporte tout entier d’après une copie qui fut trouvée à Caen, lorsque le roi d’Angleterre s’empara de cette ville en 1364.

  1. La terre de Mons ou des Monts (en latin, Mons ou Montes ; en allemand, Bergen) est située en Westphalie, à l’orient septentrional du Rhin. Elle a été possédée à titre de comté par la maison de La Marck. Marguerite de La Marck, héritière de cette terre, la porta en dot, dans le treizième siècle, à Henri IV, duc de Limbourg. Adolphe VII, son petit-fils, la possédait à l’époque dont il s’agit ici.