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CHRONIQUES DE J. FROISSART.


CHAPITRE LXXXIII.


Comment le comte Guillaume de Hainaut vint à Cambray durant le siége et y livra un dur assaut contre ceux de la ville.


Encore ce siége durant devant Cambray, vint par un samedi le comte Guillaume de Hainaut, qui étoit moult bachelereux, atout ceux de son pays, dont il y avoit très bonne gent, devant la cité de Cambray, à la porte saint Quentin, et y livra grand assaut. Et là fut Jean Chandos, qui adonc étoit écuyer très appert et bon bachelier ; et se jeta entre les barrières et la porte, outre au long d’une lance, et là se combattit moult vaillamment à un écuyer de Vermandois qui s’appeloit Jean de Saint-Dizier[1] ; et là firent l’un sur l’autre plusieurs belles appertises d’armes, et conquirent par force les Hainuyers la barrière. Et là étoit le comte de Hainaut, en très bon convenant ; aussi étoient ses maréchaux appelés messire Girard de Werchin et messire Henri d’Antoing et tous les autres qui s’avançoient et aventuroient hardiment pour leur honneur. À une porte, que on dit la porte Robert, étoient le sire de Beaumont, le sire de Fauquemont, le sire d’Enghien, et messire Gautier de Mauny et leurs gens ; et y firent un très fort et dur assaut. Mais s’ils assailloient fortement et durement, ceux de Cambray, et les soudoyers que le roi de France y avoit aussi envoyés, se defendoient vassalement et par grand advis ; et firent tant que les dessus dits assaillans n’y conquirent rien ; mais retournèrent bien lassés et bien battus à leurs logis. Si se désarmèrent et pensèrent du reposer. Et vint le jeune comte Guillaume de Namur servir le comte de Hainaut, sans prière qui lui en eût été faite, mais seulement par le grand amour qu’il avoit à lui, disant qu’il se tenroit de leur partie tant qu’ils seroient sur l’Empire ; mais si très tôt qu’ils entreroient sur le royaume de France, il s’en iroit devers le roi Philippe qui l’avoit retenu. Aussi c’étoit l’intention du comte de Hainaut ; et commandoit étroitement à ses gens que nul, sur la hart, ne forfit rien au royaume de France.


CHAPITRE LXXXIV.


Comment le roi d’Angleterre défit son siége de Cambray et s’en vint vers le mont Saint-Martin pour entrer au royaume de France.


Entrementes que le roi d’Angleterre séoit devant la cité de Cambray à bien quarante mille hommes, et que moult la contraignoit d’assauts et de plusieurs faits d’armes, faisoit le roi Philippe son mandement à Péronne en Vermandois et là environ ; car il avoit intention de chevaucher contre les Anglois qu’il sentoit moult efforcément en Cambrésis. Dont les nouvelles en vinrent en l’ost d’Angleterre, que le roi de France faisoit un grand amas des nobles de son royaume. Si regarda le roi anglois et considéra plusieurs choses, et se conseilla principalement à ceux de son pays et à messire Robert d’Artois, en qui il avoit moult grand’fiance ; et leur demanda lequel étoit meilleur à faire, ou d’entrer au royaume de France et venir contre le roi Philippe son adversaire, ou de lui tenir devant Cambray, tant que par force il l’eût conquise. Les seigneurs d’Angleterre et son étroit conseil imaginèrent plusieurs choses, et regardèrent que la cité de Cambray étoit malement forte et bien pourvue de gens d’armes et d’artillerie, et aussi de tous vivres, selon leur espoir, et que longue chose seroit de là tant séjourner et être que ils l’eussent conquise ; duquel conquêt il n’étoit pas encore bien certain ; et si approchoit l’hiver, et si ils n’avoient encore fait nul fait d’armes, ni apparent n’étoit du faire, et séjournoient là à grands frais. Si lui conseillèrent que, tout considéré, il délogeât et chevauchât avant au royaume ; là trouveroient-ils largement à vivre et mieux à fourager.

Ce conseil fut cru et tenu : donc s’ordonnèrent tous les seigneurs à déloger ; et firent trousser tentes et trez et toutes manières de harnois, et se délogèrent tout communément ; et se mirent à voie, et chevauchèrent devers le mont Saint-Martin[2], qui à ce côté est l’entrée de France. Et chevauchoient ordonnément et par connétablies, chacun sire entre ses gens ; et étoient maréchaux de l’ost d’Angleterre le comte de Northantonne et de Colchestre et le comte de

  1. Les seigneurs de Saint-Dizier étaient issus des comtes de Flandre de la maison de Dampierre. Ce Jean de Saint-Dizier, écuyer, était frère du comte de Flandre et devint comte à son tour.
  2. Ancienne abbaye de Prémontrés du diocèse de Cambray, sur les frontières de la Picardie.