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LIVRE I. — PARTIE I.

en Hainaut : mais se partirent vitement et en grand arroi, si comme ci-dessus est dit, et s’acheminèrent vers Chimay, et passèrent par un vendredi les bois que on dit de Thiérasche, et exploitèrent tant qu’ils vinrent à Aubenton, qui étoit une grosse ville et bonne et pleine de draperie. Les Hainuyers se logèrent ce vendredi assez près, et avisèrent et considérèrent auquel lez elle étoit plus prenable. Lendemain ils vinrent, tous ordonnés, pardevant poir l’assaillir, leurs bannières tout faiticement tout devant, et les arbalétriers aussi ; et se partirent en trois connétablies, et se traist chacun à sa bannière, dont le comte de Hainaut eut la première bataille, avec lui grand’foison de bons chevaliers et écuyers de son pays : le sire de Beaumont son oncle eut la seconde livrée, aussi atout grand’foison de bonnes gens d’armes ; et le sire de Fauquemont avec grand’foison d’Allemands une autre. Et se traist chacun sire à sa bannière et entre ses gens celle part où ils furent ordonnés et envoyés pour assaillir. Si commença l’assaut grand et fort durement, et s’employèrent arbalétriers de dedans et dehors à traire moult vigoureusement ; par lequel trait il y en eut moult de blessés des assaillans et des défendans. Le comte de Hainaut et sa route, où moult avoit d’apperts chevaliers et écuyers, vinrent jusques aux barrières de l’une des portes. Là eut grand assaut et forte escarmouche. Là étoit le vidame de Châlons, un appert chevalier, qui y fit merveilles d’armes, et qui moult vassalement se combattit et défendit ; et fit à la porte mêmement trois de ses fils chevaliers, qui aussi se acquittèrent moult bien en leur nouvelle chevalerie ; et y firent plusieurs appertises d’armes, mais ils furent si fort requis et assaillis du comte de Hainaut qu’il les convint retraire à la porte, car ils perdirent leurs barrières. Là eut un moult grand et dur assaut. Sur le pont mêmement, à la porte vers Chimay, étoient messire Jean de Beaumont[1] et messire Jean de la Bove. Là eut très grand assaut et forte escarmouche, et convint les François retraire dedans la porte ; car ils perdirent leurs barrières, et les conquirent les Hainuyers et le pont aussi. Là eut dure escarmouche forte, et grand assaut et félonneux, car ceux qui étoient montés sur la porte jetoient bois et mairain contre val, et pots pleins de chaux, et grand’foison de pierres et de cailloux, dont ils navroient et mes-haignoient gens, s’ils n’étoient fort armés. Et là fut atteint, du jet d’une grosse pierre et vilaine, un bon écuyer de Hainaut, qui se tenoit tout devant pour son corps avancer, Baudouin de Beaufort, et reçut un si dur horion sur sa targe, que on lui écartela et fendit en deux moitiés, et eut le bras rompu dont il la portoit ; et le convint retraire pour le vilain horion, et porter au logis, ainsi que celui qui ne se put depuis aider ni armer de grand temps, jusques à tant qu’il fût sané et guéri. Si sachez qu’il ne faisoit mie bon approcher, si on n’étoit fort armé et bien pavoisé.


CHAPITRE CIII.


Comment la ville d’Aubenton fut prise et conquise par force et toute pillée et robée et arse, et tous ceux qui dedans étoient morts et pris.


Ce samedi au matin fut l’assaut moult grand et très fier à la ville d’Aubenton en Thiérasche, et se mettoient les assaillans en grand’peine et en grand péril pour conquérir la ville. Aussi les chevaliers et écuyers qui étoient dedans rendoient grand’entente de eux défendre, et bien le convenoit ; et sachez que, si ne fussent les gentils hommes qui dedans Aubenton étoient et qui la gardoient, elle eût été tôt prise et d’assaut, car elle étoit fort et dur assaillie de tous côtés et de grand’foison de bonnes gens d’armes. Si y convenoit de tant plus grand avis et plus grand hardiment pour la défendre ; et en firent les chevaliers de dedans, au voir dire, bien leur devoir. Mais finalement elle fut conquise par force d’armes ; et les guérites, qui n’étoient que de palis, rompues et brisées ; et entra dedans la ville, tout premièrement, messire Jean de Hainaut et

  1. Le continuateur de Nangis et l’auteur des Chroniques racontent en peu de mots la prise d’Aubenton, et disent formellement que le seigneur de Vervins n’y était point. Suivant leur récit, Jean de Hainaut avait trouvé le moyen de l’en faire sortir, ainsi que la plupart des chevaliers, en leur proposant de se trouver le jour du jeudi-saint 1339 (1340) dans un lieu indiqué, pour lui faire raison du pillage de Chimay et de l’incendie de Haspre. Le seigneur de Vervins fut exact au rendez-vous ; mais Jean de Hainaut qui avait voulu le tromper, ne s’y trouva point et investit ce jour-là même Aubenton dont il s’empara. Quoique ce récit ne porte aucun caractère évident de fausseté, celui de Froissart, beaucoup plus détaillé et composé sur les mémoires de Jean-le-Bel qui vivait presque habituellement à la cour de Hainaut, paraît mériter la préférence.